LOUIS XV, LES PERSONNALITES
LE COMTE DE BROGLIE, PATRON DU "SECRET DU ROI"
Pour conduire la politique étrangère de la France, Louis XV ne se contente pas de la voie officielle. Il dispose d'une administration clandestine, le "Secret du Roi", que dirige l'influent comte de Broglie. Mais le ministre en titre, le duc d'Aiguillon qui soupçonne cette concurrence occulte, implique en 1773 son rival dans un complot.
Au cours de l'été 1773, le duc d'Aiguillon, ministre d'Etat et secrétaire aux Affaires étrangères, est informé par son ambassadeur à Hambourg des agissements d'un certain colonel Dumouriez. L'homme n'est pas un inconnu et refera parler de lui pendant la Révolution de 1789. Mi-agent, mi-aventurier, il a déjà effectué des missions à l'étranger pour le compte du duc de Choiseul (ministre disgracié en 1770) et du duc d'Aiguillon. Le ministre se procure aisément des copies de l'abondante correspondance du colonel. Aiguillon découvre alors que le marquis de Monteynard, secrétaire d'Etat à la guerre, a chargé Dumouriez d'une mission secrète dans les Cours du Nord. A l'origine, il est question d'étudier le moyen d'acheminer des troupes en Suède au cas où ce pays serait victime d'une agression. Une hypothèse théorique, car Louis XV a, semble-t-il, écarté l'idée d'y envoyer une armée. Le marquis toutefois l'ignore. Le duc d'Aiguillon n'apprécie guère que son collègue de la Guerre empiète sur son domaine, la politique étrangère. Et d'autant moins s'il entretient des projets allant à l'encontre de sa propre action. Mais, pour lui, il y a bien plus grave. Dumouriez ne se contente pas d'envoyer des courriers chiffrés, et vite déchiffrés à Monteynard. Il correspond aussi généreusement avec certains de ses amis en France, notamment un dénommé Favier. Or, celui-ci, jadis syndic général des Etats de Languedoc, travaille aujourd'hui pour le comte de Broglie, un homme que le duc d'Aiguillon considère comme son plus dangereux rival.
Le ministre lit avec intérêt et colère
la correspondance de Dumouriez où il est question de renversement d'alliances et
d'intrigues pour se débarrasser de lui. Le nom de De Broglie apparaît souvent. Le duc
pourrait n'y voir que des élucubrations d'intrigants subalternes. Mais il prend les
choses au sérieux. Il dénonce une conspiration visant à bouleverser la politique
extérieure de la France et accuse Monteynard et De Broglie d'en être les instigateurs.
Croit-il lui-même à la réalité du complot? Il est sûr en tout cas qu'il y voit un
double avantage. En se débarrassant du premier et en récupérant ses attributions, il
renforcerait sa position au Gouvernement. En discréditant le second, il éliminerait un
successeur éventuel.
Car Charles François, comte de Broglie, marquis de Ruffec, avait déjà été pressenti,
par le passé, pour être ministre des Affaires étrangères. Aiguillon ignore en revanche
qu'il est le chef de la diplomatie secrète de Louis XV. Car le souverain qui veut
contrôler lui-même les grands dossiers de politique étrangère, a organisé, à l'insu
de ses ministres, une administration parallèle, le Secret du Roi. Depuis 1756, il est en
liaison directe avec de Broglie auquel il a confié rapidement la direction de son Secret.
Le duc d'Aiguillon, comme ses prédécesseurs, soupçonne sans doute cette concurrence
occulte, sans toutefois réussir à en percer le mystère. Cette fois-ci, il est tout
près de l'éclaircir.
Fin août 1773, Louis XV est informé des
menées de Dumouriez et de Favier. Inquiet, il demande immédiatement des explications à
de Broglie. Ce dernier tient en grande estime Favier qui l'aide à rédiger des mémoires
de politique étrangère soumis au roi dans le cadre du Secret. Mais il dit tout ignorer
des faits reprochés à son "employé", notamment une correspondance avec le roi
de Prusse.
Le 7 septembre, Favier est jeté à la Bastille où Dumouriez, arrêté à Hambourg, le
rejoint le 13. Quelques jours plus tard, de Broglie se voit interdire un voyage au
Piémont. Chargé d'accueillir la future comtesse d'Artois à la frontière de Savoie, il
voulait profiter de cette occasion pour se rendre à Turin régler des affaires de
famille. Il exige des explications sur un refus qui ne peut qu'alimenter les rumeurs. Il
adresse une lettre très fière et plutôt maladroite à Aiguillon qui se fait un plaisir
de la lire, le 23 septembre, au Conseil. Le lendemain, Louis XV exile de Broglie sur ses
terres de Ruffec. Là, lui parviennent les échos d'une campagne de calomnie lancée
contre lui par le duc d'Aiguillon. On insinue qu'il aurait abusé de la complaisance du
roi, plaçant des gens à lui dans les Cours étrangères et influant sur la diplomatie
française. Il ne peut se défendre sans révéler l'existence du Secret. Début 1774,
l'affaire trouve son épilogue. Le marquis de Monteynard démissionne du Gouvernement.
Dumouriez et Favier sont libérés après six mois de cachot. De Broglie reste en
disgrâce, tout en conservant la direction du Secret et donc, à priori, la confiance du
roi. Il n'aura cependant pas le temps d'obtenir le temps d'obtenir le droit de revenir à
la Cour car, le 10 mai 1774, Louis XV rend l'âme.
Page MAJ ou créée le 1999