PRECEPTEUR DU GRAND DAUPHIN
A partir du 5 septembre 1670, Bossuet va
être pendant dix ans précepteur du fils de Louis XIV et se consacrera
à cette tâche avec une grande conscience. En vue d'instruire son
élève, il rédige quantité d'ouvrages théologiques,
philosophiques et historiques, dont plusieurs comptent parmi ses chefs-d'oeuvre.
Malgré la grande influence qu'exerce Jacques Bossuet
au sein de l'Eglise de France, Louis XIV, pris à partie par le prédicateur
lors du Carême du Louvre de février 1662 et face aux exigences
de vertu extrêmes qu'il manifeste, n'a pas fait de l'abbé le prêcheur
attitré de la Cour. Il reconnaît cependant la hauteur de ses principes
et de ses vues intellectuelles, en lui confiant le 5 septembre 1670, l'éducation
de son fils, le Grand Dauphin. La tâche est ardue; le fossé
est grand entre le travailleur acharné et érudit qu'est Bossuet
et son élève de neuf ans, médiocre et sans grands moyens,
même si le comte de Saint Simon a exagéré en le décrivant
"absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres".
Le précepteur lui-même se plaint vers la fin de son préceptorat
: "Il y a bien à souffrir avec un esprit si
inappliqué : on n'a nulle consolation sensible et on marche, comme dit
Saint Paul, en espérant contre l'espérance même".
Il n'en pousse pas moins son élève dans les études classiques,
la littérature française, grecque et latine, ne craignant pas
d'aborder des genres, comme le théâtre, et des auteurs, comme Térence,
qu'il vilipendera plus tard. C'est ainsi qu'il écrit au pape Innocent
XI à propos du Grand Dauphin : "On ne peut
dire combien il s'est diverti agréablement et utilement en lisant Térence".
Il ne confie guère au savant Pierre Daniel Huet, nommé sous-précepteur,
que l'enseignement de la physique et des mathématiques, assumant pour
sa part l'essentiel de la formation profane, ainsi que l'instruction religieuse
et morale.
Le maître s'appuie essentiellement sur des ouvrages
qu'il compose lui-même. Il rédige ainsi des grammaires française
et latine, un Traité des causes, une Logique, une Morale,
un livre d'initiation à la philosophie, De la connaissance de Dieu
et de soi-même; il démarre une Politique tirée des
propres paroles de l'Ecriture sainte, à laquelle il oeuvrera tout
au long de sa vie. Il donne également une Histoire de France,
objective et courageuse, dans laquelle il n'hésite pas à dénoncer
la Saint Barthélemy. Plus qu'un bel esprit, il veut former un bon
roi, et il compte sur l'histoire pour éduquer le Grand Dauphin dans l'art
de "conduire les affaires". Avec
sa minutie habituelle, il se lance donc dans l'élaboration d'une grande
fresque historique, lisant toutes sortes d'oeuvres, dont celles des Anciens,
Polybe, Tacite, Thicyclide et Tite Live. Il en tire une synthèse très
élaborée intitulée Discours sur l'histoire universelle. Dans
sa Politique tirée de l'Ecriture sainte, Bossuet fait également
appel à l'histoire. Il cherche dans la Bible des exemples et des principes
valables pour une monarchie absolue au pouvoir limité par la raison de
l'homme et la volonté de Dieu. Il considère la monarchie absolue
comme la meilleure forme de gouvernement, celle qui correspond le mieux à
la nature, mais estime que les autres formules politiques ne sont pas à
écarter, pour peu qu'elles aient fait leurs preuves sur une assez longue
durée.
Bossuet n'est pas un précepteur acariâtre.
Il prône "la manière d'instruire les
rois" de l'Egypte ancienne, où l'on croyait que les reproches
ne faisaient qu'aigrir leurs esprits; et que le moyen le plus efficace de leur
inspirer la vertu était de leur marquer leur devoir dans des louanges
conformes aux lois, et prononcées gravement devant les dieux. Estimé,
il aurait pu, de par sa fonction, devenir un personnage important de la Cour.
Mais il préfère rester en retrait du monde, ne sortant de sa réserve
que pour soutenir Louise de La Vallière, la maîtresse du roi, lorsqu'elle
décide d'entrer au couvent. Il s'oppose dans cette circonstance à
Louis XIV et à sa nouvelle favorite, la marquise de Montespan, ce qui
ne l'empêche pas de prononcer le 4 juin 1675 un beau sermon (bien évidemment
très attendu) pour la profession de la pénitente. Certes, Bossuet
ne vit pas en ascète : "Je perdrais plus de
la moitié de mon esprit si j'étais à l'étroit dans
mon domestique", écrit-il en 1672. Mais, loin d'être
entraîné dans l'agitation de la vie de cour, il semble au contraire,
après des débuts où la vie mondaine ne l'a pas rebuté,
avoir à cette époque fait le choix d'une austérité
qui se reflètera dans ses oeuvres à venir. Si, en 1675, il devient
directeur de conscience du roi, ce n'est que provisoirement. Et, après
avoir obtenu du souverain qu'il éloigne temporairement madame de Montespan,
il retournera à sa quête spirituelle. Son préceptorat
prendra fin en 1680, lorsque son élève épousera la princesse
Marie Anne de Bavière, dont il sera nommé premier aumônier,
avant de devenir évêque de Meaux l'année suivante.
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