MONTESQUIEU : LA QUERELLE DE "L'ESPRIT DES LOIS"
En 1748, après vingt années de patientes
études et de voyages à travers l'Europe, Montesquieu publie son grand oeuvre,
"De l'Esprit des Lois". L'ouvrage connaîtra un succès considérable
et influencera des générations de penseurs et d'hommes politiques. Mais il sera
aussi vivement critiqué. En particulier par l'Eglise, qui conduira, pendant
près de six ans, la querelle de "L'Esprit des Lois".
En 1748, Charles Louis de Secondat, baron
de la Brède et de Montesquieu, fait paraître son grand oeuvre, De l'Esprit
des Lois. Cet ouvrage, résultat de vingt années de travaux, propose, ainsi
que le précise le sous titre, une étude "du
rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement,
les moeurs, le climat, la religion et le commerce". Montesquieu
reçoit de nombreux éloges. En deux ans, son livre est réédité vingt deux fois. Dans
un premier temps, la presse reste pratiquement muette. Mais, dès 1749 et jusqu'en
1752, une vive querelle va éclater. Madame du Deffand, qui a reçu le philosophe
dans son salon, remarque : "Ce n'est
pas de l'esprit des lois, mais de l'esprit sur les lois"!
Les attaques de personnages influents, tel le fermier général Dupin, et surtout
celles des milieux religieux sont beaucoup plus virulentes. Jésuites et jansénistes,
qui se sont réconciliés contre Montesquieu, mènent campagne par l'intermédiaire
de leurs publications respectives, Le Journal de Trévoux et Les Nouvelles
Ecclésiastiques.
On reproche au philosophe de fonder son
système sur la "religion naturelle", d'expliquer le suicide ou la
polygamie par le climat, thèses fatalistes, de critiquer le célibat des prètres
et la répression du sacrilège. La rigueur de l'attaque oblige Montesquieu à
réagir sur un terrain où il se sent mal à l'aise, celui de la religion. Il est
pourtant grand temps qu'il le fasse : au moment où paraît sa Défense de l'esprit
des lois, en 1750, son livre est dénoncé à la congrégation de l'index qui,
à Rome, dresse le catalogue des ouvrages prohibés par l'Eglise catholique. Montesquieu
organise sa défense en quelques points : De l'esprit des lois n'est pas
un traité de théologie, mais un livre de droit; il n'envisage les religions
que comme des institutions humaines : il n'a donc pas pu traiter de la religion
chrétienne, qui est une "institution" divine, n'en a par conséquent
parlé qu'occasionnellement. Cependant, il juge sa discipline, le droit canon.
Ses conclusions ne peuvent que choquer certains chrétiens et l'Eglise. En refusant
de répondre aux questions théologiques, loin d'apaiser ses détracteurs, il aggrave
son cas. Montesquieu a au Vatican des amis qui font tout pour retarder la
condamnation de son oeuvre, et le pape Benoît XIV lui-même n'y est pas défavorable.
On le tient au courant des manoeuvres et intrigues qui, à Rome, opposent ses
ennemis et ses partisans. On lui propose de modifier les passages litigieux
dans l'édition suivante, corrections qui ne remettent pas en cause le fond de
l'ouvrage. Mais de nombreux exemplaires sont déjà en circulation. Une édition
inattendue en italien, sans ces corrections, fait échouer les tentatives de
conciliation. Le 29 novembre 1751, De l'esprit des lois est mis à l'index.
Montesquieu a traîné les pieds pour apporter
des modifications à son oeuvre, ne voulant pas céder sur ce qu'il considère
comme essentiel, et se refusant, malgré ses promesses, à donner une édition
remaniée. A-t-il préféré courir le risque d'être condamné? A-t-il pensé jusqu'au
dernier moment qu'il ne le serait pas? Toujours est-il que le souverain pontife
ne rend pas la condamnation publique, se montrant ainsi soucieux de ménager
son auteur. De l'esprit des lois est également examiné par les plus hautes
autorités de l'Eglise gallicane, par l'assemblée générale du clergé de France
et de la faculté de théologie de Paris, la Sorbonne. Les accusations reposent
sur le soupçon que au fond, Montesquieu manque de conviction religieuse. Comparé
à Voltaire, Rousseau, Diderot et à son ami Helvétius, il est certes chrétien
et non déiste ou athée, mais c'est un fidèle peu éclairé et indocile, qui fréquente
des milieux hostiles à l'Eglise. On lui reproche d'avoir évité de prendre nettement
position et de s'être ainsi rangé parmi les indifférents, donc parmi les ennemis
de la religion chrétienne. Là encore, le philosophe compte sur l'aide d'un ami,
monseigneur de Fitz James, évêque de Soissons. La lenteur des délibérations
l'incite à l'optimisme, au point qu'il rentre chez lui, à Bordeaux. Poussée
par Les Nouvelles Ecclésiastiques exaspérées, la Sorbonne accélère l'instruction
du procès. Cependant, elle rédige cinq projets de censure entre 1751 et 1754.
Le 15 juin de cette dernière année, l'assemblée plénière finit par ordonner
la publication de la censure. Cette fois encore, la condamnation ne sera pas
rendue publique ni au cours des quelques mois qui restent à vivre à Montesquieu
ni après sa mort.
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