LA CHUTE DU "SYSTEME DE LAW" (21 décembre 1720)
Après avoir suscité un engouement euphorique et un enrichissement
rapide, le "système de Law" s'emballe et finit par exploser.
La Banque d'Etat est fermée, les porteurs de billets et d'actions sont
ruinés, et l'on revient aux espèces d'or et d'argent. Le 21 décembre
1720, le banquier John Law est banni du royaume de France.
Au printemps 1720, le "système de Law"
commence à dérailler. La consommation, la production, l'emploi se
situent à un niveau élevé, et la "surchauffe"
n'est pas loin. Le resserrement des espèces, les excès de la spéculation
commencent à faire douter de la fiabilité de la monnaie-papier.
L'or et les diamants franchissent clandestinement les frontières. Le
gouvernement endigue cette dégradation en ordonnant la cessation des
échanges de billets contre des espèces. L'usage des espèces
en or est interdit, on ne doit même pas en détenir : cette mesure
choque par son autoritarisme et, en outre, est inapplicable.
La Compagnie des Indes, elle, réalise de gros profits
grâce à l'indigo de Louisiane, la laine de Madagascar, les cotonnades
des Indes, les porcelaines de Chine, la gomme du Sénégal, le trafic
négrier. Ses actions, aux énormes dividendes, pâtissent
cependant de la réticence qui se fait jour vis-à-vis de la Banque.
Leurs rachats s'accélèrent; pour les payer, on émet de
plus en plus de billets, d'où un accroissement de la méfiance... La
situation n'est pas encore critique, mais le 21 mai Law commet une erreur en
décrétant, sans l'avis du Conseil d'Etat, que les actions et les
billets perdront progressivement la moitié de leur valeur. Cet arrêt
est révoqué dès le 28 du mois sous la pression des Grands
et du Parlement, mais son retentissement est considérable. Law est démis
et placé en garde à vue. Les commissaires qui enquêtent
à la Banque notent qu'un énorme montant de billets a été
émis sans autorisation; toutefois, devant le risque de séisme
politique, Law est réhabilité et tout reprend comme avant. Le
banquier a certes commis des erreurs, notamment celle d'avoir voulu faire de
l'action de la Compagnie des Indes une sorte de bon du Trésor, cumulant
sans risque les avantages d'une action boursière et ceux d'une obligation
d'Etat à taux fixe. Il a poussé à surestimer considérablement
les actions, obligeant la Banque à les racheter aux taux aberrant de
neuf mille livres et donc à faire fonctionner la planche à billets
pour le seul profit des actionnaires de la Compagnie. Il a eu tort également
d'avoir voulu remplacer de manière autoritaire les espèces par
les billets; billets dont au demeurant il n'a pas essayé d'étendre
l'utilisation à la vie quotidienne. De plus, ses nombreux ennemis s'efforcent
de saper son oeuvre. Bercé d'illusions depuis un an, le public n'est
guère porté au sang-froid. Le coup de force manqué a des
conséquences déplorables. Une foule tumultueuse court à
la Banque pour se faire rembourser l'argent de ses billets. Le Régent,
le duc Philippe d'Orléans, finit par ordonner la fermeture de l'établissement.
John Law est pris à partie par la foule, son carrosse est mis en pièces.
Mesures et règlements se multiplient et interfèrent,
faisant alterner séductions et intimidations, et ajoutant encore à
la confusion. La Banque propose des rentes et doit payer en plus les fonctionnaires,
les fournisseurs. Les comptes sont imposés, l'or et l'argent de nouveau
autorisés, les diamants interdits, la vaisselle fondue pour remédier
au déficit d'espèces. Trop de billets, trop d'actions circulent.
On se livre précipitamment à des destructions massives, mais les
billets se déprécient toujours. Law s'accroche, mais ses mesures
sont de plus en plus incohérentes. Peu à peu, les billets n'ont
plus cours, les actions se dévalorisent, entraînant la ruine des
porteurs, comme Pierre Carlet de Marivaux, désormais forcé d'écrire
pour vivre... Comme l'effondrement de son système, la disgrâce
du banquier se fait par étapes. Le banquier écossais a tout perdu.
"Je n'avais pas la valeur de dix pistoles dans ma maison", dira-t-il
plus tard de cet automne où il est reclus sur sa terre de Guermantes.
Pour éviter un procès embarrassant, il est banni. Le 21 décembre,
il franchit la frontière, et pour lui l'errance recommence. Fin août
1728, il reçoit à Venise, où il survit chichement, la visite
du philosophe Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu,
aussi célèbre en Europe que lui-même l'a été
un temps. Montesquieu a ironisé sur le système dans ses Letttres
persanes : issu d'un monde terrien, cossu et stable, il se situe à l'opposé
de son interlocuteur, mais les deux adversaires prennent plaisir à se
rencontrer. Montesquieu dira de Law : "C'est un homme captieux, qui a du
raisonnement, et dont toute la force est de tâcher de tourner votre raisonnement
contre vous, en y trouvant quelque inconvénient; d'ailleurs plus amoureux
de ses idées que de son argent". L'année suivante, John
Law prend froid et s'éteint au mois de mars. L'ambassadeur de France
à Venise, M. Languet de Gergy, écrit n'avoir "jamais vu un
homme parler de la beauté et de la grandeur du royaume de France avec
plus de passion que lui".
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Page MAJ ou créée le 03/07/2004
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