MAITRE DE MUSIQUE DE MESDAMES
Grâce à ses compétences d'horloger, Pierre Auguste Caron
de Beaumarchais s'est introduit à la Cour. Ses talents de musicien vont lui
ouvrir les portes des appartements royaux. En 1759, il deviendra le maître de
musique de Mesdames, les filles de Louis XV. Ce qui n'ira pas sans susciter
de féroces jalousies.
Depuis toujours, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais
adore la musique, qu'il a pratiquée avec ses cinq soeurs durant son enfance
et son adolescence. Cette passion, entraînant quelques dissipations, lui a valu
maintes frictions avec son père, qui lui a fait signer un "contrat"
dont l'un des articles stipule : "Vous abandonnerez
totalement votre malheureuse musique (...). Cependant, par égard à votre faiblesse,
je vous permets la viole et la flûte, mais à la condition expresse que vous
n'en userez jamais que les après-soupers des jours ouvrables, et nullement dans
la journée, et que ce sera sans interrompre le repos des voisins ni le mien".
Le jeune homme compose et joue à ravir de plusieurs instruments,
et en particulier de la harpe, dont, artisan talentueux et inventif, il perfectionne
le pédalier (c'est la même pédale qu'on utilise encore aujourd'hui). Horloger
du roi depuis 1753, il a fabriqué une "petite horloge curieuse"
pour Madame Victoire, l'une des filles de Louis XV. Sa merveilleuse harpe attire
également l'attention de la princesse et de ses trois soeurs, qui s'ennuient
à mourir, cloîtrées dans leurs appartements. Beaumarchais va devenir l'amuseur
attitré de Mesdames, et elles vont le prendre sous leur protection. Il apporte
sa harpe et la laisse dans l'appartement de Madame Adélaïde. Il joue de la viole,
de la flûte et de la guimbarde. Avenant et plein de charme, il devient vite
le professeur favori, le chef d'orchestre et le compagnon indispensable de Loque,
Coche, Graille et Chiffe, surnoms ridicules dont on affuble, comme c'est la
mode, les filles du roi. Nombreux sont les gentilshommes qui se disputent,
en vain la plupart du temps, les faveurs de ce quatuor discret et réservé, mais
exerçant une grande influence sur le souverain. La préférence marquée de Mesdames
pour le jeune horloger-harpiste va susciter nombre de jalousies et de coups
bas. Signe de sa réussite, Beaumarchais voit en 1755 son portrait exécuté
par Jean Marc Nattier, peintre de la famille royale. L'air conquérant dans un
superbe habit rouge, il ne tient plus, comme dans des tableaux précédents, une
montre ou un tournevis à la main, mais des rouleaux de partitions de musique.
En 1759, il passe officiellement au service de Mesdames comme maître de musique
et ordonnateur de leurs concerts, qui sont souvent donnés en présence de Louis
XV et de la reine Marie Leszczynska.
Jaloux, les Grands ne manquent pas de rappeler au nouveau
maître de musique ses origines roturières. Un jour, un courtisan lui tend sa
montre et lui demande de la réparer : Beaumarchais répond en la laissant choir,
comme par inadvertance. Les mauvaises langues s'en donnent à coeur joie. On
raconte que Louis XV, pendant un concert improvisé, a laissé son fauteuil à
"ce Caron" et qu'il est demeuré debout pendant que "ce
misérable" restait assis. On murmure qu'après ces séances de musique,
Mesdames, toujours prêtes "à se crever de viande et de vin",
font avec leur protégé des orgies de jambon, de mortadelle et de champagne... On
s'efforce de faire perdre à l'indésirable tout crédit auprès de ses protectrices
en le faisant passer pour un fils indigne, qui traite mal et méprise l'auteur
de ses jours (il est vrai que les accrochages entre Caron père et Caron fils
sont fréquents). Mesdames, qui ont le sens de la famille, ne peuvent qu'être
offusquées par cette attitude, signe d'une mentalité de parvenu et d'intrigant.
L'accusé renverse la situation en mettant sur pied une habile mise en scène
: mandé de toute urgence à Versailles, Caron père tombe dans les bras de son
fils sous les yeux attendris des quatre soeurs. Pierre Augustin présente son
père à ses bienfaitrices, qui lui multiplient les marques d'amitié. Les envieux
inventent alors un nouveau stratagème : on offre à chacune des princesses un
éventail sur lequel est représenté un concert qu'elles viennent de donner et
où tous les participants sont peints avec exactitude, sauf le maître de musique.
Cette volonté de nuire ne sert à rien : après avoir montré leurs éventails à
Beaumarchais, qui ne fait qu'en sourire, Mesdames renvoient ces cadeaux où leur
favori ne figure pas. Le jeune homme sait se défendre. Il n'a que vingt cinq
ans mais, face à sa subite bonne fortune, fait preuve de sang froid, de mesure
et de lucidité. Il sait sa situation précaire. Pour l'instant, il est un des
familiers de la famille royale, et ses rivaux sont contraints de ronger leur
frein.
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Page MAJ ou créée le 2003
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