LA MORT DE JEAN JACQUES ROUSSEAU
A Ermenonville, où il a trouvé
refuge depuis le mois de mai 1778, Jean Jacques Rousseau profite du calme et
des charmes de sa chère nature. Le 2 juillet au matin, alors qu'il revient
d'une de ses promenades rituelles dans le parc, il est pris de malaise. En début
d'après-midi, il succombera à une crise d'apoplexie, quatre jours
après avoir fêté ses soixante six ans.
Le 30 mai 1778, en apprenant la disparition
de Voltaire, Jean Jacques Rousseau s'est exclamé : "Il
est mort; je ne tarderai pas à le suivre".
Un mois plus tard, le 28 juin, il a fêté son soixante sixième
anniversaire en compagnie de sa douce épouse, Thérèse,
et du marquis de Girardin, qui lui a offert l'hospitalité en son domaine
champêtre d'Ermenonville. Le 1er juillet, au cours de sa rituelle promenade
de l'après-midi, il a ressenti une grande fatique et a dû faire
plusieurs haltes pour se reposer. En rentrant, il s'est plaint de "quelques
douleurs de coliques", qu'il a attribuées aux fraises agrémentées
de lait et de sucre du déjeuner, dont il a pourtant goûté
avec parcimonie. Thérèse a dû insister pour qu'il consente
à manger un peu de pain avec une gorgée de vin. Toutefois, il
a passé une excellente nuit, contrairement à son épouse
qui, alarmée, a très mal dormi.
Le 2 juillet, comme à l'accoutumée,
Jean Jacques Rousseau est réveillé à l'aube par le chant
des oiseaux. Malgré le malaise de la veille, il se sent plein de vitalité
et bavarde plaisamment avec son barbier avant d'aller herboriser dans le parc.
Inquiète, Thérèse le regarde partir dans le soleil matinal.
Mais elle n'ose le retenir, sachant trop bien quelle joie lui procurent ses
randonnées dans la nature. A son retour, en attendant l'heure du petit
déjeuner, le philosophe donne à manger au serin de sa femme puis
va s'asseoir à l'ombre des bosquets. Le repas se déroule dans
la gaîté. Alors qu'il sert le café, le maître de maison
ressent comme un grand froid. "Je
sens de grandes anxiétés et des douleurs de coliques",
murmure-t-il en frissonnant. Affolée, Thérèse tente de
le soulager et envoie la servante chercher du secours auprès de madame
de Girardin. Jean Jacques ne songe qu'à sécher les larmes de son
épouse : "Je sens qu'il faut
nous séparer. Pourquoi pleurer, êtes vous fâchée de
mon bonheur"? A neuf heures du matin, Rousseau
remercie avec sollicitude son hôtesse accourue à son chevet et
déclare avec sa franchise coutumière : "Vous
voyez que je souffre, et c'est une gêne ajoutée à la douleur
que de souffrir devant le monde". Resté seul
avec Thérèse, il demande qu'on ferme sa porte aux intrus mais
qu'on ouvre largement toutes les fenêtres. "Que
cet air est pur, que j'ai de plaisir à le respirer encore une fois! Consolez
vous, ma chère amie. J'ai toujours demandé à Dieu de pouvoir
finir ma vie sans voir le médecin et le chirurgien; il m'a exaucé".
Bien que pressé de se "joindre
à Lui dans le sein de la béatitude",
Rousseau n'a pas oublié qu'il a été élevé
dans la foi protestante et refuse qu'un prêtre l'accompagne vers Dieu.
Thérèse lui donne une cuillerée d'eau des Carmes, espérant
que le tonique agira, puis l'aide à s'allonger. Mais le malade s'impatiente.
Soucieux de prouver qu'il n'est pas faible au point de ne pouvoir quitter seul
son lit, il parvient à s'installer sur une chaise. Il accepte une tasse
de
bouillon, mais ne parvient pas à boire : "Mon
coeur ne peut plus rien supporter". Alors que Thérèse
se détourne pour poser la tasse sur une desserte, un bruit sourd la fait
sursauter : Jean Jacques vient de s'effondrer, inconscient... Aux cris de
désespoir de Thérèse, le marquis de Girardin, qui n'a pas
voulu s'éloigner de la demeure de son invité, se précipite
et fait vainement respirer de l'alcali au mourant. Le médecin, mandé
d'urgence, arrive trop tard. Terrassée par la douleur, Thérèse
perd connaissance. Quand elle revient à elle, elle contient ses sanglots
pour transmettre le dernier souhait de son défunt mari : Jean Jacques
Rousseau désirait que son corps fût autopsié par des membres
de la Faculté. Les examens conclueront à une crise d'apoplexie. Dans
le courant de l'après-midi, pendant que monsieur de Girardin s'occupe
des formalités administratives, le sculpteur Jean Antoine Houdon, qui
doit réaliser le masque mortuaire du philosophe, arrive à Ermenonville.
C'est là que Jean Jacques Rousseau sera inhumé, au milieu de ce
parc qu'il aimait tant, sur la petite île des Peupliers. Le propriétaire
du domaine fera édifier "à
la mémoire d'un homme dont le génie éclaire le monde"
un monument qui restera un lieu de pélerinage même après
1794 et le transfert des cendres de l'auteur d'Emile au Panthéon.
Le plus de la fiche
Page MAJ ou créée le 2001
© cliannaz@free.fr
|