MIRABEAU TONNANT : UN FRERE ENCOMBRANT
Le comte Gabriel Honoré de Mirabeau a un jeune frère, Boniface, ivrogne
et fantasque, mais aussi homme d'esprit et militaire de valeur. Au printemps
1789, ce cadet est, lui aussi, élu député et représente la noblesse du Limousin
aux états généraux. Ses incartades et ses débordements théâtraux causeront quelques
déboires à son aîné. Pourtant, le célèbre tribun prendra toujours sa défense.
Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, a deux fils : l'aîné, le comte Honoré
Gabriel, est né le 9 mars 1749; le cadet, le vicomte André Boniface, le 30 novembre
1754. Avec Gabriel, un jeune débauché, il a des relations orageuses. Par compensation,
il trouve tous les mérites à Boniface, qui a en outre hérité de la beauté familiale
dont son aîné est fort dépourvu. Mais Boniface, sans atteindre aux excès de
génie et de lucre de Gabriel, n'est pas si docile que son père le souhaiterait.
Son biographe, Eugène Berger, le décrit comme "viveur, buveur, joueur,
querelleur, bretteur". En 1770, le marquis décide de sévir contre ce
"fol polisson". Son fils cadet est chevalier de Malte, mais les excès
des hospitaliers sont réputés, aussi préfère-t-il lui obtenir une sous-lieutenance
au sein de la légion de Lorraine (avec laquelle son aîné a combattu en Corse).
Le jeune sous-lieutenant Mirabeau montre aussitôt des dons certains pour la
carrière militaire. Tout en contractant, à l'instar de son frère, des dettes
colossales. Boniface a à peine plus de vingt ans que son physique d'Adonis
n'est déjà plus qu'un souvenir. "La face replète, le col gros et court,
le torse énorme. L'embonpoint l'avait totalement envahi". Le voici en bonne
voie pour mériter le surnom qui lui sera bientôt attribué : "Mirabeau Tonneau".
Après un brillant passage à la légion de Lorraine, il "fait ses caravanes"
à Malte. Une nuit, alors qu'il regagne ses quartiers, le chevalier de Mirabeau,
en compagnie de camarades comme lui complètement ivres, se pique de détruire
toutes les statues se trouvant sur le chemin, y compris celles des saints. Les
fauteurs de trouble iconoclastes sont mis aux arrêts. Rapatrié en France, Boniface
n'en est pas moins affecté, après l'intervention de son père, au régiment de
Turenne et nommé au grade supérieur.
Le 7 juillet 1788, le marquis, exaspéré par les frasques
de Gabriel, fait de Boniface son légataire universel. L'année suivante, le cadet
des Mirabeau est élu député de noblesse du Limousin. L'aîné, lui, siège comme
représentant du Tiers Etat de Provence, et sa grande populariTé s'accroît encore
après la célèbre scène du jeu de Paume. Malgré son hostilité pour Gabriel, Mirabeau
père ne ménage guère Boniface. "Quand on a un frère
comme le vôtre aux états généraux, on laisse parler ce frère et on garde le
silence", lui assène-t-il. Le cadet reconnaît volontiers la supériorité
de son aîné, et avec un solide sens de l'humour. Alors qu'il est en visite chez
les filles de Louis XV, un huissier, dans l'obscurité, le prend pour le comte
de Provence et annonce solennellement : "Monsieur".
"Ce n'est que Monsieur, frère du roi Mirabeau",
corrige humblement le vicomte! Car, s'il arrive rarement sobre aux séances de
l'Assemblée, il se montre toujours spirituel. "Dans
une autre famille, je passerais pour un mauvais sujet et un homme d'esprit;
dans la mienne, je suis un sot et un honnête homme", a-t-il coutume
de dire. A ceux qui lui reprochent de boire plus que de raison, il confie :
"C'est le seul vice que ma famille m'ait laissé".
A la tribune, les frères Mirabeau s'affrontent régulièrement.
Le 4 février 1790, Loouis XVI promet de défendre la liberté constitutionnelle.
Mirabeau Tonneau bondit, rompt son épée et s'exclame : "Puisque
le roi renonce à son royaume, un gentilhomme n'a plus besoin d'épée pour le
défendre!" En juin, le régiment de Touraine se déclare favorable
à la Révolution. Boniface, qui en est le colonel, punit lui-même les coupables
et emporte, fixées à sa poitrine, les cravates de leurs drapeaux. Cette extravagante
initiative suscite de vives réactions, et le fantasque colonel est appréhendé.
Il sera tiré d'affaire grâce à Gabriel, qui intervient en sa faveur, rappelle
l'inviolabilité des députés et obtient, "au nom de
la liberté, que le ravisseur de cravates vînt se défendre à la tribune de l'Assemblée." Le
3 septembre, Boniface franchit le Rhin et constitue un corps d'émigrés. Une
fois de plus, Gabriel prend sa défense, bien que ces interventions portent fâcheusement
atteinte à sa popularité. Mais le tribun provençal mourra, en 1791, sans que
les frasque de son frère lui aient vraiment nui. Boniface ne lui survivra pas
longtemps ; l'année suivante, il sera tué au cours d'un duel d'ivrognes.
Le plus de la fiche
Page MAJ ou créée le 2002
© cliannaz@free.fr
|