LOUIS XIV, LES ARTS ET LES SCIENCES
"LE ROMAN COMIQUE" DE PAUL SCARRON
Prince de la poésie burlesque et satirique, Paul Scarron, dont le salon parisien figure parmi les plus en vue, est l'auteur d'un unique roman, "Le Roman comique", l'une des plus grandes oeuvres réalistes du XVIIème siècle. Mélangeant les genres, il y parodie avec bonheur et dérision le style de l'époque et les belles manières de la Cour. Publiées en 1651 et en 1657, la première et la deuxième parties de cet ouvrage, qui amuse et scandalise, obtiennent un vif succès.
Paul Scarron est l'un des personnages les plus attachants du monde littéraire au XVIIème siècle. Né à Paris le 14 juillet 1610, il a été huit ans chanoine au Mans, où il a côtoyé l'aristocratie locale et commencé à écrire. Mais à vingt huit ans sa vie a soudainement basculé : cet insouciant libertin a été frappé par une maladie qui le paralyse et déforme progressivement ses membres. Dans la capitale, où il s'est installé et tient salon, il n'en continue pas moins à divertir la société.
L'esprit et la gaieté de Scarron font oublier le courage
qu'il lui faut pour surmonter la souffrance qui le taraude continuellement.
Il dresse de lui un autoportrait d'une lucidité douce et amère : "J'ai
eu la taille bien faite, quoique petite; ma maladie l'a raccourcie d'un bon
pied (...). Mes jambes et mes cuisses ont fait premièrement un angle obtus;
puis un angle égal et enfin un angle aigu; mes cuisses et mon corps en font
un autre, et ma tête se penchant sur mon estomac, je ne ressemble pas mal à
un Z. J'ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes et les doigts aussi
bien que les bras; enfin, je suis un raccourci de la misère humaine".
Plus célèbre que riche, il a repris la plume pour tâcher d'en vivre. Il reçoit
deux pensions, l'une du cardinal Mazarin, l'autre de la reine-mère Anne d'Autriche,
mais les perd en prenant le parti de la Fronde. On le dit même à l'origine des
Mazarinades, les pamphlets contre le cardinal qui courent les rues. En
dépit de tout, il s'amuse, caustique et railleur aussi bien dans les bons mots
et les facéties de sa brillante conversation que dans ses poésies burlesques
d'une verve drue. Chez lui se retrouvent les personnalités les plus en vue de
son temps : des écrivains, des gens du monde ainsi que la gent féminine, brillamment
représentée par Madeleine de Scédury, Madame Deshoulières, Ninon de Lenclos,
la marquise de Sévigné, Madame de Lesdiguières, la comtesse de La Suze.
Ses
comédies mettent Scarron en concurrence avec un Pierre Corneille débutant. Le
ton iconoclaste et les grosses plaisanteries de son Virgile travesti,
achevé en 1643, lui valent un grand succès et annoncent son chef d'oeuvre, Le
Roman comique, composé entre 1648 et 1657, qui narre les aventures burlesques
d'une troupe de comédiens. Pittoresque et vivant, cet ouvrage, qui se situe bien
loin du roman traditionnel, met en scène des personnages miséreux et dépenaillés
singeant les belles manières de la Cour et dont les aventures triviales et dérisoires
se déroulent pour une bonne part dans le cadre très prosaïque de la ville du
Mans.
Usant d'un vocabulaire lyrique et recherché, qui conviendrait
à de hauts faits d'une épopée grandiose, l'auteur raille la grandiloquence dont
ses contemporains sont coutumiers. Il excelle tout autant dans l'emploi des
expressions concrètes et triviales, comme en témoignent les noms de ses antihéros,
La Rancune, Ragotin, La Rapinière. Un conte écrit par Jean de La Fontaine pour
la scène, Le Ragotin, s'inspirera de cet art de la démystification et
de la caricature. Mais il y a aussi dans Le Roman comique les personnages
de Destin et de mademoiselle de l'Etoile, des amitiés vraies, des sentiments
profonds. Tout n'y est pas que dérision : il y passe la contestation amère que
la volonté et les actes des protagonistes sont impuissants contre la Fortune.
Au passage, Scarron rend hommage à Molière par le biais du chef de la troupe,
Destin, "comédien de campagne qui a une si parfaite
connaissance de la véritable honnêteté".
En même temps que le
récit principal, avec déguisements, enlèvements et duels, ce roman comporte
des retours en arrière, des nouvelles espagnoles intercalées dans l'intigue
étoffée et palpitante, de nombreuses bagarres, qui parodient les combats des
héros classiques.
Le mélange des genres et des registres, les décalages entre
le style et les scènes décrites font du Roman comique une oeuvre d'une
grande richesse, d'une grande originalité et d'une grande drôlerie. Ce récit
qui inspirera Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier (lequel lui
empruntera le nom de son héros, le baron de Sigognac), obtient un succès considérable.
Une première partie est publiée en 1651, puis une deuxième en 1657, mais Scarron
n'aura pas le temps d'écrire la troisième. Il mourra le 4 octobre 1660, lançant
à ceux qui se lamentent à son chevet : "Je ne vous
ferai jamais autant pleurer que je vous ai fait rire".
Page MAJ ou créée le 2002