PHILIPPE AUGUSTE, SA VIE
LE TRISTE DESTIN D'INGEBURGE DE DANEMARK
Le 14 août 1193, Ingeburge de Danemark épouse Philippe Auguste. Mais, dès le lendemain, le roi ressent à son égard une aversion inexpliquée, qu'il ne pourra jamais surmonter. Tandis que la papauté hésite à prononcer le divorce, la reine sera reléguée de monastère en forteresse, vingt longues années durant.
Belle et vertueuse jeune fille de dix huit ans, Ingeburge de Danemark fait grande impression sur Philippe Auguste quand il la voit pour la première fois le jour de leurs noces, à Amiens, le 14 août 1193. Cette union a été arrangée avec le roi Knut VI du Danemark, frère de la mariée, par le Capétien qui cherche un allié pour débarquer en Angleterre. Or le roi Knut a des droits sur la Couronne d'Angleterre, une flotte et des marins aguerris, mais ne donne à son allié que sa soeur, dotée de dix mille marcs d'argent. Est-ce la déception due à l'échec de sa politique ou la beauté froide d'Ingeburge qui fait que, dès le lendemain du mariage, les chroniqueurs relatent que le roi commence "à moins aimer" son épouse?
Très vite, on parle de divorce. Quand l'abbé
du Paraclet, ami de la Maison du Danemark, lui apprend la résolution
du roi, Ingeburge (qui ne parle pas encore français, seulement
le latin) éclate en sanglots, plus de colère que de
désespoir. "Mala Francia!
Roma! Roma!" s'écrie-t-elle en en appelant au
pape. Car elle refuse de repartir avec l'amùbassade danoise
: elle a été couronnée reine le lendemain de
ses noces, et sa place est en France. Elle va payer de sa liberté
son refus de l'exil. Elle est d'abord enfermée à l'abbaye
de Cysoing, près de Lille. Peu après, Philippe Auguste
lui impose comme résidence le monastère de Saint Maur
des Fossés, puis d'autres couvents. Pendant sept ans, l'entourage
royal ne la voit plus. "Elle passe
ses journées entières à prier, à lire,
à travailler; les exercices sérieux remplissent tous
ses moments", rapporte l'évêque de Tournai
à l'archevêque de Reims. Rien n'a été
prévu pour son entretien. Mais elle-même ne demande
rien et vend peu à peu ses robes de Cour pour subvenir à
ses besoins.
Le premier motif de divorce avancé par Philippe
Auguste et son entourage est la consanguinité supposée
entre Ingeburge et sa première femme, Isabelle de Hainaut.
Sur ce motif, les prélats et les barons du royaume annulent
le mariage, le 5 novembre 1193, à Compiègne. Il est
vite avéré que ce n'est qu'un prétexte. Si
bien que quand, en 1196, les conseillers du roi envisagent un nouveau
mariage avec une princesse allemande, Agnès de Méranie,
ils cherchent un autre argument : la non-consommation du mariage.
On a beaucoup parlé de l'impuissance du
roi face à la belle Ingeburge. Cependant, la princesse danoise
a toujours soutenu que le mariage avait été consommé,
et l'argument n'a été invoqué que trois ans
après les faits... Un mystère subsiste sur les raisons
réelles de l'aversion subite de Philippe Auguste envers sa
deuxième femme. En tout cas, Innocent III prend le parti
d'Ingeburge et refuse d'entériner le divorce. Il frappe même
le royaume d'interdit en 1199. La reine répudiée reprend
espoir quand, sous la pression, le roi prétend vouloir la
reprendre près de lui en attendant que le divorce soit prononcé.
Mais, s'il la libère du couvent, c'est pour lui assigner
comme nouvelle résidence le château royal de Saint
Léger en Yvelines. Et il refuse d'essayer à nouveau
de s'unir à elle comme le propose le pape.
En 1201, Ingeburge
est enfermée au château d'Etampes, où elle passe
sans doute les années les plus pénibles de sa réclusion.
Après un bref regain d'espoir, c'est de nouveau le cauchemar.
Philippe Auguste lui en veut probablement de ne pas renier son serment
sur la consommation de leur mariage. Elle se plaint au pape de la
façon dont elle est traitée. Sur l'intervention d'Innocent
III, ses conditions de vie sont adoucies en 1207, mais elle ne revient
à la Cour qu'en 1213, vingt ans après son mariage!
Ses conseillers ont fait comprendre au roi que, politiquement, pour
obtenir l'appui de la papauté dans sa politique anglaise,
il doit surmonter son dégoût et son ressentiment. Consentir
au retour d'Ingeburge est pour Philippe Auguste une humiliation
mais, s'il la reprend comme reine, il ne la reprend pas comme épouse.
Les dix dernières années de "vie commune"
du couple royale sont mystérieuses. Par testament, Philippe
Auguste laissera dix mille livres parisis "à
sa très chère épouse Ingeburge".
Veuve en 1223, celle-ci sera une reine douairière très
digne, pieuse et attentive aux siens. Louis VIII et Louis IX la
traiteront tous les deux en souveraine, même lorsqu'elle se
sera retirée de la Cour, et jusqu'à sa mort, en 1238.
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