L'AUBE D'UN MARIAGE MALHEUREUX
Le 21 janvier 1308, à Boulogne sur Mer, Isabelle de France, la fille de Philippe le Bel, épouse
le roi Edouard II d'Angleterre, comme l'a prévu le traité de paix franco-anglais
signé en juin 1299, à Montreuil sur Mer. Nul ne sait encore que de cette union
naîtra le futur Edouard III, qui sera à l'origine de la Guerre de Cent Ans.
Isabelle de France est dans sa douzième année. De tous
les enfants de Philippe le Bel, elle est celle qui ressemble le plus à son père,
qui a hérité de sa beauté froide et altière, de son âme inflexible, de son orgueil.
Seule survivante des filles nées de son mariage avec la reine Jeanne de Navarre
(Marguerite et Blanche sont mortes en bas âge), elle est aussi l'enfant préféré
du Capétien. Le prénom qu'elle porte lui est cher : c'est celui de sa propre
grand-mère, Isabelle d'Aragon, première femme du roi Philippe III le Hardi.
Quand le roi Edouard II d'Angleterre et sa suite débarquent
à Boulogne sur Mer, le 20 janvier, ils sont accueillis avec courtoisie, et conduits
au palais des comtes de Boulogne, lieu de leur séjour. Peu après, l'Anglais
s'agenouille devant Philippe le Bel, son suzerain pour le duché de Guyenne,
et lui prête hommage sans aucune restriction. Les noces sont célébrées, le
lendemain, à Notre Dame de Boulogne. Rarement mariage fut aussi fastueux. Du
côté français, la présence de maintes personnalités souligne l'immense influence
de la monarchie capétienne en Occident : trois rois (ceux de France, de Navarre
et de Sicile), les comtes de Valois et d'Evreux, de Poitiers et de La Marche,
tous quatre princes des lys, leurs cousins les ducs de Bourgogne et de Bretagne,
les comtes de Clermont, de Dreux, d'Auxerre, d'Eu, de Nevers, de Flandre et
de Saint Pol, le duc de Brabant, les comtes de Hainaut, de Luxembourg et de
Savoie, seigneurs et gens du peuple se pressent en si grand nombre que le comte
de Soissons périt étouffé dans la foule! Toutefois, cette mort ne semble guère
endeuiller ni les noces ni les six jours suivants, réservés aux tournois, aux
bals et aux banquets. Rien n'est trop beau pour Philippe le Bel : sa parure
est somptueuse, comme l'est celle des siens, qu'il pourvoit généreusement. Pour
l'occasion, le roi a offert à sa fille des couronnes et des parures magnifiques,
des bijoux et des vêtements de prix, de la vaisselle précieuse, des vases sacrés
pour sa chapelle. Les tables des cérémonies sont garnies des nappes les plus
fines, des mets les plus délicats, des vins les plus fins. Mais Sa Majesté est
toujours cruellement à court d'argent! Si bien qu'elle a requis l'aide féodale,
un impôt spécial qui a été levé avec bien des difficultés et a suscité bien
des protestations.
Lors de ces fêtes, Philippe le Bel peut observer qu'Edouard
II n'a que l'apparence d'un roi. C'est un beau jeune homme de vingt trois ans,
grand, blond, bien bâti, de visage agréable. Mais ses traits sont mous et il
n'a rien de l'allure de son père, feu Edouard 1er, le "Justinien
britannique". Isabelle sera-t-elle heureuse avec lui? Le Capétien
peut en douter; d'autant qu'il remarque l'intimité que son gendre s'affiche,
à Boulogne même, avec son favori retrouvé, Pierre Gaveston, gentilhomme de Guyenne,
sans fortune, qu'il a fait comte de Cornouailles. Il ne sait pas encore que
l'Anglais négligera son épouse (meme quand elle sera devenue une très belle
femme) et ira jusqu'à la dépouiller de ses bijoux pour en parer son favori. Le
couple quitte Boulogne en compagnie de Charles de Valois, qui est chargé de
représenter Philippe le Bel, son frère, lors des cérémonies qui doivent se dérouler
en Angleterre, où les voyageurs débarquent le 7 février. Le 25 février, à Londres,
Edouard II et son épouse sont couronnés. Au cours de la procession, Gaveston
marche juste devant le roi et porte sa couronne. C'est également lui qui remet
au souverain l'épée de Saint Edouard (privilège auquel ne peut normalement pas
prétendre un simple comte de Cornouailles), qui fixe l'éperon sur son pied gauche,
ce qui le place juste derrière le frère du roi de France qui fait la même chose
pour le pied droit. En voulant signifier si ostensiblement son attachement à
son favori, Edouard II laisse l'assistance particulièrement choquée et, dès
ses débuts, fragilise son règne.
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