LES CAPETIENS
PHILIPPE AUGUSTE, CHEF D'ETAT
L'EXPULSION DES JUIFS DE FRANCE
(AVRIL
1182)
Rompant avec la politique de son père, Philippe Auguste n'entend plus accorder protection aux Juifs du royaume. Sous prétexte d'agir en bon chrétien, il va décider la saisie de leurs biens, puis leur expulsion de France, en avril 1182. Des mesures qui ont surtout pour but de renflouer le Trésor. Pour la Couronne, le gain à court terme est énorme; mais il n'ira pas sans avoir de conséquences sur le fonctionnement de l'économie.
A peine est-il associé au trône, le 1er novembre 1179, que
Philippe Auguste exerce la plénitude du pouvoir et expédie en
son nom des chartes où le consentement de Louis VII n'est même
pas mentionné. Le jeune roi agit tout simplement comme si son père
n'était plus de ce monde! De surcroît, il rompt nettement avec
la politique paternelle; sans doute afin de s'affirmer comme souverain au moment
où sa mère, la reine Adèle de Champagne, à la tête
du parti champenois, ainsi que le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, espèrent
le garder sous leur coupe et s'octroyer ainsi le gouvernement.
A cette époque,
les Juifs sont de plus en plus mal considérés en Occident; peut-être
à cause des revers des croisés en Terre Sainte. En France, cependant,
les communautés urbaines en butte à l'hostilité du peuple
et du clergé ont bénéficié de la protection de Louis
VII. En 1179, la dernière année effective de son règne,
le roi a reconnu l'existence légale des Juifs et, à Etampes, un
prévôt a été autorisé à arrêter
leurs débiteurs chrétiens récalcitrants. Quans le concile
du Latran a décidé que les Juifs ne pouvaient avoir des serviteurs
chrétiens, il a protesté auprès du pape Alexandre III,
en vain.
Plus que religieuse, la motivation de Philippe Auguste est d'ordre économique. Affirmer l'autorité monarchique, guerroyer contre des vassaux rebelles et contre l'étranger, financer la croisade coûte cher, très cher... Et les Juifs sont réputés immensément riches. Dès janvier 1180, le roi signe un édit qui conduit à de nombreuses arrestations. Au mois de mars, un samedi, jour du sabbat, "les Juifs furent saisis dans leurs synagogues dans toute la France et dépouillés de leur or, de leur argent et de leurs vêtements", relate le moine Rigords de Saint Denis, biographe du souverain. Pour recouvrer leur liberté, les Juifs sont contraints de payer une énorme rançon de quelque quinze mille marcs d'argent, rapporte le chroniqueur anglais Raoul de Diceto. Par ailleurs, le roi annule toutes les dettes contractées par les chrétiens envers les Juifs, dont il se fait verser vingt pour cent du montant : "Il reçut un immense montant d'argent des chrétiens français", constate le chroniqueur Giselbet de Mon. Puis, après avoir consulté l'ermite Bernard de Vincennes, Philippe Auguste décide, en avril 1182, "d'éjecter tous les Juifs de ses propres villes et châteaux". Il fixe le mois de juillet comme date limite de leur départ avec leurs familles; ne les autorise à vendre que leurs biens meubles et s'octroie la propriété de leurs biens fonciers. Pour la Couronne, le gain à court terme est considérable.
Les synagogues sont saisies, parfois transformées
en églises. Les biens des Juifs sont loués à des pelletiers,
des drapiers et des orfèvres, devenant une nouvelle source de revenu
pour le Trésor royal. La démolition des maisons confisquées
(une cinquantaine d'après les archives) libère un vaste espace
sur la rive droite de la Seine. Le roi décide d'y déplacer le
centre commercial de Paris, jusque-là situé près de la
cathédrale Notre Dame et du marché aux grains, sur lequel les
Juifs avaient le monopole. Il fait construire un marché couvert, les
Halles : il peut procéder à ce réaménagement de
la capitale à peu de frais puisqu'il n'a pas à dédomager
les propriétaires.
Mais, bientôt, Philippe Auguste réalise
que les Juifs prennent une part indispensable à la vie économique
du royaume. En conséquence, il les rappelle en 1198 et les autorise à
se réinstaller en France. Cependant, suivant l'exemple de certains barons,
il les pressure régulièrement et en toute légalité
: il les soumet à un cens annuel, frappant les transactions écrites,
les amendes judiciaires. Seuls ceux qui se convertissent au christianisme sont
exemptés de cette taxe supplémentaire. Le souverain en viendra
quand même à renouer un peu avec la politique de son père,
en protégeant certains membres de la communauté.
L'un d'entre
eux, Dieudonné de Bray, portera même le tite de "Juif
du roi", titre prestigieux, très envié, et en
1210, sera chargé de la perception du tonlieu (droit payé par
es marchands) du pain de Paris.
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