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LE "MILLIARD DES EMIGRES"
Votée le 27 avril 1825, la loi sur l'indemnisation
des émigrés a un double objectif : dédommager ceux qui ont été dépossédés de
leurs biens sous la Révolution et rassurer les acquéreurs de biens nationaux.
La mesure se veut apaisante, mais elle va néanmoins susciter de vives réactions
au sein de la gauche parlementaire et de l'opinion publique. Et le "milliard
des émigrés" va réveiller des passions qui couvent depuis la Révolution.
Les derniers émigrés ayant fui la France sous
la Révolution sont rentrés, et la monarchie restaurée doit régler l'immense
et redoutable question des biens nationaux. La solution radicale, justifiable
en droit, serait de déclarer nulles toutes les spoliations et de rendre les
biens vendus ou saisis à leurs propriétaires, quitte à indemniser d'une façon
ou d'une autre les acquéreurs de bonne foi. Et au risque de déclencher une nouvelle
guerre civile! Sous Louis XVIII, la vente des biens nationaux à des particuliers
n'est pas remise en cause. Mais la loi du 5 décembre 1814 rend aux émigrés les
biens acquis par l'Etat, ainsi que les rentes constituées et les titres de créances
dus par des particuliers. Le 22 décembre 1824, dans le discours du trône
prononcé lors de l'ouverture de la session parlementaire, Charles X annonce
son projet d'indemnisation des émigrés. Cette mesure marque l'abandon de la
politique conciliatrice de Louis XVIII. Elle est aussi la prmière concession
faite à la majorité ultra par Villèle, le président du Conseil à la tête du
Gouvernement que le nouveau roi a contribué à former sous le règne précédent
et a maintenu en fonction. Le projet de loi a deux objectifs : indemniser
les émigrés dépossédés de leurs biens sous la Révolution et rassurer les acquéreurs
de biens nationaux, toujours inquiets. Selon les enquêtes préliminaires, la
valeur totale des propriétés dont on se propose de compenser la perte se monte
à un milliard de francs.
Pour que la mesure soit plus facilement acceptée,
Villèle décide de séparer les aspects techniques et politiques de l'opération.
Dans un premier temps, il prévoit de faire voter le principe de l'indemnité
et les modalités de sa répartition. Après quoi, les Chambres ne pourront pas
s'opposer aux dispositions financières destinées à réunir les sommes nécessaires. En
février 1825, un premier décret porte sur le projet de loi créant, au profit
des anciens possesseurs des biens nationaux, trente millions de rente à 3% représentant
un capital nominal de un milliard de francs. La discussion est longue et orageuse.
Un vive polémique s'engage dans tout le pays, alimentée par la presse et des
quantités de brochures. L'opinion s'émeut que le Trésor public soit amputé "au
détriment de 29 millions de Français pour le profit de 50 000 personnes".
Tandis que partisans de la Révolution et défenseurs de l'émigration s'affrontent,
des passions que l'on se proposait d'éteindre se réveillent! Certains ultras
contestent la valeur de l'article 9 de la Charte, concernant l'irrévocabilité
des biens nationaux. La gauche s'efforce de discréditer le projet en soulignant
que trop de députés sont personnellement intéressés à son adoption! Oubliant
que beaucoup n'ont quitté le pays que pour sauver leur tête, elle flétrit toute
l'émigration comme un crime, prétendant que la confiscation a été une juste
punition et que l'on ne doit rien à ces mauvais Français.
Cependant, le 27 avril 1825, la loi, légèrement amendée
par la Chambre des Pairs, est adoptée par la Chambre des députés, par 221 voix
contre 130. Reste à trouver les moyens financiers qui permettront d'indemniser
les émigrés. La moitié de la somme est fournie par la caisse d'amortissement,
l'autre moitié par la plus-value escomptée des rentrées budgétaires, en particulier
par la taxe sur les transactions. S'y ajoute une conversion des rentes sur la
dette publique de 5% en 4,5%. En fin de compte, la France ne déboursera pas
le fameux "milliard des émigrés", mais un capital de 630 millions
de francs. Le pays est prospère, et le Trésor peut aisément supporter cet alourdissement
de la dette publique. Cependant, l'indemnisation ne permet pas aux émigrés
de retrouver leur fortune territoriale. En tenant compte du jeu des successions,
les ayants droits sont environ 70 000 et le dédommagement obtenu par chacun
d'eux est en moyenne de 1 377 francs de rente, 45 000 en capital nominal. Pour
la plupart, l'indemnité réelle est très inférieure à cette moyenne du fait de
quelques grosses liquidations, comme celle du duc d'Orléans. Mais l'objectif
essentiel est atteint : après 1825, il n'y a plus deux catégories de propriétés
et deux catégories de propriétaires. Plus aucun obstacle matériel ne s'oppose
à une véritable réconciliation nationale. Mais les passions ne sont pas éteintes
pour autant. De ce point de vue, la loi a momentanément élargi le fossé entre
les Français qui ont profité de la Révolution et ceux qui en ont souffert.
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