|
L'EXECUTION DE LACENAIRE
Accusé de double meurtre, Pierre
François Lacenaire révèle une personnalité si surprenante que la foule se presse
au tribunal. Au cours de son procès, il va à la fois épouvanter et fasciner.
Il s'emploiera si bien à forger sa légende que, lorsqu'il montera à l'échafaud,
le 9 janvier 1836, il fera presque figure de héros populaire.
Bourgeois qui a mal tourné, jeune homme avenant et néanmoins
escroc, voleur et meurtrier sauvage d'une veuve et de son fils, Pierre François
Lacenaire va être jugé du 12 au 14 novembre 1835 devant les assises du département
de la Seine. Il se trouve sous le coup de trente chefs d'inculpation, en partie
pour des forfaits que personne ne songeait à lui attribuer et qu'il a revendiqués.
Cette attitude déroutante lui vaut une célébrité telle que, ce 12 novembre,
la foule se presse aux portes du tribunal.
L'homme qui fait son entrée dans la salle d'audience ne
déçoit pas l'attente du public. Elégant et distingué, il arbore sur son visage
agréable une petite moustache à la mode et porte une redingote bleue. La grande
aisance qu'il affiche et qui, étant donné les circonstances, passe aux yeux
de certains pour de la désinvolture cynique, est soulignée par le contraste
avec ses complices, Pierre Victor Avril et Hippolyte Martin, dit François, deux
assassins "ordinaires" qui font dire à La Gazette de France
que "rien dans leur figure ne les distingue des individus
traduits journellement devant les cours d'assises". Comme lors
des interrogatoires, Lacenaire n'a pas le comportement attendu de la part d'un
accusé. Tout au contraire! Souriant sereinement, il affiche un profond détachement,
s'esclaffe même parfois en lisant le journal ou lorsque ses co-accusés s'expriment
de façon argotique ou s'emmêlent dans des propos contradictoires. Son système
de défense n'est pas moins sidérant que sa conduite, ce qui ne facilite guère
la tâche à son jeune avocat commis d'office, maître Brochant : non seulement
il ne fait rien pour se défendre, mais il passe des aveux complets, s'attache
à démontrer sa culpabilité en mentionnant le moindre détail, la moindre preuve. Ses
déclarations sont énoncées avec une tranquillité et une nonchalance qui atterrent
certains spectateurs et chroniqueurs parce qu'elles contrastent vivement avec
l'horreur des faits : "Avril a serré le cou à Chardon
pendant que je le frappais. Comme il se débattait encore, Avril s'est saisi
d'un merlin et l'a achevé". Avec son "épouvantable
franchise" et la minutie qui caractérise ses récits, Lacenaire
précise que le meurtre s'est déroulé à "une heure
moins cinq minutes".
Si l'assassin se rue gaillardement vers l'échafaud, il
entend bien ne pas y aller seul : il n'a de cesse de confondre ses complices,
qui l'ont dénoncé, et se venge en dressant à leur endroit un réquisitoire implacable.
Ce faisant, il interroge lui-même les témoins, fait rechercher une pièce du
dossier d'instruction, suggère les suspensions d'audience... Le Bon Sens
du 16 novembre est scandalisé par sa "prétention à
diriger les débats, plus, pour ainsi dire, que le président lui-même". Le
spectacle qu'offre ainsi ce formidable acteur fait un triomphe, et nul n'a une
chance d'y assister s'il n'a réservé à l'avance : "Toutes
les banquettes, constate Le Méridional Bordelais, sont
occupés par des avocats et des personnes munies de billets". Bientôt,
la comédie prend fin : Lacenaire est condamné à mort. Avril subira la même peine,
tandis que François est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Lacenaire
accueille le verdict avec "une contenance impassible",
s'étonnent les journaux. Loin de repousser la guillotine, il la demande. Juste
avant la clôture des débats, quand le président lui donne la parole pour se
défendre, il joue au contraire de son éloquence pour réclamer la mort :
"Grâce de la vie! Ah! C'est une grâce que je ne demande pas (...). Une
grâce! Vous ne pouvez pas m'en faire; je ne vous en demande pas, je n'en attends
pas de vous : elle serait inutile". Durant tout le temps de la délibération
nocturne, personne n'a quitté sa place, et ce n'est qu'à trois heures du matin
que les spectateurs abandonnent lentement, comme à regret, la salle d'audience. Lorsque
Lacenaire mourra sur l'échafaud, le 9 janvier 1836, barrière Saint Jacques,
ce sera, égal à lui-même, avec courage et panache, sans décevoir le public qu'il
a à la fois scandalisé et fasciné.
Le plus de la fiche
© 2003 cliannaz@noos.fr
|