L'EVASION DU FORT DE HAM

Depuis six ans, Louis Napoléon Bonaparte est emprisonné au fort de Ham. Il s'est organisé une vie tranquille, partageant son temps entres les écrits politiques et les amours ancillaires. Il n'est pourtant pas insensible à l'appel de la liberté et, le 25 mai 1846, va réussir à s'évader, seul et avec une facilité déconcertante!

Le 6 octobre 1840, à la suite du coup de main manqué de Boulogne, la Cour des Pairs a condamné Louis Napoléon Bonaparte à "l'emprisonnement perpétuel dans une forteresse située sur le territoire du royaume". Depuis lors, le prince est détenu au fort de Ham, près de Péronne. A plusieurs reprises au cours de ces six années, on lui a proposé de s'évader. Chaque fois, craignant un piège, il a décliné l'offre. Sa foi en son destin, en la cause bonapartiste, explique sa force dans l'épreuve comme sa persévérance dans l'insuccès.
Peu à peu, Louis Napoléon s'est habitué à sa captivité. Il écrit beaucoup, notamment L'extinction du paupérisme, un essai dans lequel il expose ses théories économiques, dont six éditions paraîtront de 1844 à 1848. En 1845, Tremblaine, le directeur de la Revue de l'Empire, commence à travailler à l'édition des oeuvres complètes du prince, qui seront réunies en trois tomes et publiées en 1848. Louis Napoléon se berce d'illusions. S'il lui arrive de croire qu'une vingtaine de journaux de province lui sont favorables, il ne s'attend guère à ce que ses écrits amènent le peuple à se soulever, ou que la garnison de Ham le porte au pouvoir! En prisonnier modèle, il ne néglige pas de se faire bien voir en offrant une gratification de quarante francs à ses gardiens et des sucreries aux officiers.

Lors de sa cinquième année de détention, Louis Napoléon s'affaiblit. Il n'écrit plus, souffre de rhumatismes. Des partisans ou des esprits généreux songent à obtenir sa libération; uné pétition circule à la Chambre sans donner de résultats. Le prince convoque son ami Malmesbury dans sa cellule. Il le prie de contacter Robert Peel, le Premier Ministre anglais, pour qu'il intercède en sa faveur auprès du Gouvernement français. Peel n'est pas hostile à une telle démarche, mais son ministre des Affaires Etrangères, lord Aberdeen, s'y oppose. Le prince écrit alors directement à Louis Philippe. Mais le roi refuse de le libérer s'il ne renonce pas à son devoir "filial", à militer ouvertement pour la cause bonapartiste. Et pour le neveu de l'empereur Napoléon 1er, il est rigoureusement impossible d'accéder à une telle requête.
Au mois de mai 1846, les importants travaux de maçonnerie entrepris au fort de Ham provoquent nombre d'allées et venues.Le prince décide d'exploiter ces circonstances favorables pour s'évader par ses propres moyens. Pour ce faire, il "emprunte" les frusques d'un ouvrier maçon. Le quidam s'appelle Badinguet : sous le Second Empire, son nom sera donné par les adversaires du régime à l'ancien prisonnier devenu Napoléon III, et il passera à la postérité. Le 25 mai, ainsi vêtu, Louis Napoléon complète son déguisement en se frottant le visage de rouge et en coiffant une perruque. Deux jours plus tôt, sir Robert Peel (qui n'est plus Premier Ministre) est venu lui rendre visite et lui a remis un passeport.

Le précieux document en poche, le prisonnier quitte sa cellule. Dans la cour du fort, il charge une planche sur son épaule. Dissimulant son visage derrière une fardeau qui lui permet de tenir les curieux à distance, il se dirige tranquillement vers la sortie. Aucun officier, aucune sentinelle ne le reconnaît; personne ne donne l'alarme. Longeant les remparts, Louis Napoléon gagne sans encombre la route de Saint Quentin, où Thélin, un de ses amis, l'attend avec un cabriolet. A Saint Quentin, le prince prend une chaise de poste pour Valenciennes, où il monte dans un train pour la Belgique. De Bruxelles, il passe à Londres. Pour mettre Louis Philippe dans l'embarras, Palmerston, le nouveau ministre des Affaires Etrangères anglais, songe aussitôt à utiliser l'évadé en le présentant comme un candidat possible au trône de Grèce, pomme de discorde entre la France et l'Angleterre. La monarchie de Juillet juge inutile de demander l'extradition du prétendant bonapartiste : la Perfide Albion est trop contente de lui accorder asile. Il est tout aussi inutile de diligenter une enquête au dort de Ham : les complicités sont trop nombreuses. Louis Philippe s'abstient même de recommander à son ambassadeur Outre Manche de surveiller les faits et gestes de Louis Napoléon Bonaparte en exil. D'ailleurs, celui-ci se tient tranquille, du moins en apparence. Pourtant, son évasion inouïe met la France en joie et fait grand tort au régime. Le roi feint de ne pas s'en apercevoir. Sans doute parce qu'il vieillit, que sa clairvoyance s'obscurcit et qu'il cherche à se persuader qu'il est invincible.

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