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LE PROCES
Après l'échec du coup de
main de Boulogne, le 6 août 1840, Louis Napoléon Bonaparte est
traduit devant la cour des Pairs. Ses juges, qui pour la plupart ont servi son
oncle l'Empereur Napoléon 1er, sont bien embarrassés. Pourtant,
le 6 octobre, le verdict tombe : le prince est condamné à l'emprisonnement
perpétuel.
Le 6 août 1840, à Boulogne,
un coup de main fomenté par Louis Napoléon Bonaparte a lamentablement
échoué. Le prince a été arrêté et incarcéré
au fort de Ham, près de Péronne, dans la Somme. Sur lemur de sa
cellule, il a écrit au charbon cette phrase qui lui tient lieu de programme
: "La cause napoléonienne est
la cause des intérêts du peuple, c'est la cause européenne,
tôt ou tard elle triomphera"! Le 9 août,
il a été transféré à Paris, à la prison
de la Conciergerie. Louis Philippe a décidé de le traduire devant
la Cour des Pairs, déclarée compétente par l'article 28
de la Charte pour juger "des crimes
de haute trahison et des atteintes à la sûreté de l'Etat
qui seront définis par la loi". Président
de droit de la Haute Cour en tant que chancelier de la chambre des Pairs, le
duc Pasquier est dans une position délicate. Malgré la gêne
certaine qu'il éprouve à se rappeler qu'il doit son début
de carrière à l'empereur Napoléon 1er, l'oncle du prévenu,
il lui faut remplir son office! Comme lui, de nombreux pairs comptant parmi
les anciens serviteurs de l'Empire trouvent ce procès bien embarrassant.
Au point que, lors des six audiences qui se dérouleront entre le 28 septembre
et le 6 octobre, 165 seulement des 372 membres de la chambre des Pairs siègeront.
Et ils ne seront que 152 à rendre l'arrêt condamnant le prince
Louis Napoléon.
En même temps que le procès
du prétendant bonapartiste se déroule, se déroule celui
de madame Lafarge, une empoisonneuse corrézienne qui a défrayé
la chronique. Le jugement de cette héroïne d'un fait divers croustillant
est largement commenté par la presse, contrairement à celui de
Louis Napoléon Bonaparte. Pourtant, au delà de la mise en accusation
du prince pour sa tentative de coup de main, les délibérations
viennent alimenter le débat de fond sur la nature de la Monarchie de
Juillet, sur la légitimité de Louis Philippe, contestée
tant par les Bonapartistes que par les royalistes légitimistes et les
Républicains. Louis Napoléon Bonaparte, en habit noir, gilet
et gants blancs, la plaque de Grand Aigle de la Légion d'Honneur au côté,
est assisté par deux avocats : le légitimiste Berryer et le républicain
Marie. Au président Pasquier qui lui demande sa profession, il répond
simplement : "Prince français
en exil". Puis, il lit une déclaration soulignant
que tout gouvernement ne résultant pas de la souveraineté du peuple
est illégitime. Pasquier dirige l'interrogatoire avec une modération
compréhensible; lors de l'audition des témoins, il met en valeur
tout ce qui est favorable à l'accusé. En revanche, le procureur
général Franck Carré se montre des plus désobligeants
: "L'épée d'Austerlitz,
elle est trop lourde pour vos mains débiles".
Berryer, royaliste ardent et représentant
en France du comte de Chambord, le petit-fils de Charles X, rappelle à
la Cour que la souveraineté ne peut être déléguée
que par une manifestation de la volonté nationale. Evoquant le retour
des cendres de Napoléon 1er, il ajoute habilement : "On
veut vous faire prononcer une peine contre le neveu de l'Empereur, mais qui
êtes vous donc? Comtes, barons, vous qui fûtes ministres, généraux,
sénateurs, maréchaux, à qui devez vous vos titres, vos
honneurs? En présence des engagements qui vous sont imposés par
les souvenirs de votre vie, des bienfaits que vous avez reçus, je dis
qu'une condamnation serait immorale"! Il est certes
malaisé de frapper le neveu du héros dont les cendres voguent
vers la France d'une peine infamante, comme la déportation à perpétuité
ou une détention de cinq à vingt ans. Relevant des peines de correctionnelle,
un emprisonnement de cinq ans au maximum ne peut être envisagé.
Pourtant, la Cour doit empêcher le prince de renouveler ses tentatives
de prise de pouvoir. Aussi, le 6 octobre, inaugure-t-elle une peine"nouvelle"
et condamne-t-elle "le prince Charles
Louis Napoléon Bonaparte à l'emprisonnement perpétuel dans
une forteresse située sur le territoire du royaume". Alors
que le greffier lui fait lecture de l'arrêt, Louis Napoléon toujours
aussi confiant dans son destin, se contente de citer son oncle : "Monsieur,
on disait autrefois que le mot impossible n'était pas français;
aujourd'hui on peut en dire autant du mot perpétuel".
L'avenir lui donnera raison.
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