"COLOMBA" ET "CARMEN" : DEUX HEROINES DE PROSPER MERIMEE

S'il a étudié le droit et s'il poursuit une carrière ministérielle qui le conduit à la charge d'inspecteur des Monuments Historiques, Prosper Mérimée se consacre aussi à la littérature, dont le démon l'a saisi très jeune. Il est l'auteur de nombreuses oeuvres, inégales. Mais deux nouvelles, Colomba et Carmen, parues en 1840 et en 1845, suffisent à assurer une place au Panthéon des Lettres à cet écrivain qui tire le romantisme vers un réalisme pittoresque et psychologique.

Son père le destinait à une carrière d'avocat. Mais, bien que reçu au barreau en 1825, à l'âge de vingt deux ans, Prosper Mérimée n'exercera jamais! Très tôt, il a été saisi par le démon de la littérature. Après s'être lié d'amitié avec Stendhal, il a assidûment fréquenté les salons parisiens et la société des jeunes gens de son âge appartenant au mouvement romantique. Dans ses premières oeuvres transparaît un goût de la mystification auquel il ne renoncera jamais tout à fait, se plaisant à user d'un style à mi-chemin entre le fantatisque et l'humour noir. "Je me ferais dresser les cheveux sur la tête en me racontant à moi-même des histoires de revenants", affirme-t-il.
Cependant, il ne trouve pas tout de suite la forme propre à son génie et commet quelques récits médiocres. En 1830, il s'engage sur la voie d'une littérature de meilleure qualité et publie sa Chronique du règne de Charles X, "esquisse historique" et beau roman de cap et d'épée. Il fait ensuite paraître, d'abord au sein de revues, une série de nouvelles, comme L'Enlèvement de la redoute ou Tamango.

Parallèlement à cette activité littéraire, Prosper Mérimée mène une carrière administrative. D'abord chef de cabinet dans divers ministères, il est nommé inspecteur des Monuments Historiques en 1834 et entreprend de sauver de la ruine une bonne part de l'héritage architectural roman et gothique de la France.
Bien qu'il se consacre alors de plus en plus à ses fonctions officielles, il publie de nombreux recueils de notes de voyage, des ouvrages d'érudition historique et des traductions du russe, ce qui est alors très nouveau. Il effectue aussi de nombreux déplacements dans les pays méditerranéens, notamment en Espagne, où il se lie avec la fille de la comtesse de Montijo, la future impératrice Eugénie, ce qui fera de lui un des hommes en vue du Second Empire.
En Corse, où il se rend en 1839, il prend note de divers éléments "exotiques" qu'il intègre à un bref roman publié l'année suivante, Colomba. L'intrigue est assez fournie, mais le récit, centré sur le personnage qui donne son titre à l'ouvrage, une jeune fille animatrice indomptable de la "vendetta" que doit exécuter son frère, a les caractéristiques de la nouvelle, et la froideur du ton y contraste avec la violence des sentiments. Cette sauvagerie de l'amour et la fatalité se retrouveront cinq ans plus tard dans Carmen. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche s'enthousiasmera pour José Navarro, qui, peu avant son exécution, raconte sa passion pour Carmen, la belle bohémienne qui l'a amené, lui, un jeune homme pacifique et discipliné, à devenir déserteur, contrebandier, voleur et meurtrier.

Colomba et Carmen sont les oeuvres les plus célèbres de Prosper Mérimée. Dans le registre de la nouvelle, l'auteur trouve l'accomplissement de son talent. Chronologiquement, il précède Maupassant dans cet art que l'écrivain normand portera à la perfection. Ses qualités de concision dans la clarté, d'âpre froideur, de sensibilité fermement tenue en bride font de Mérimée un maître du genre. Dans d'autres écrits de ce type, comme Les Ames du Purgatoire, La Vénus d'Ille ou Lokis, il composera à merveille avec l'impassibilité concentrée de la narration et le fantastique ambigu du sujet. Cependant, cette oeuvre de nouvelliste reste pour l'essentiel l'apanage des Happy Few, selon l'expression de Stendhal, malgré un style d'une remarquable sobriété, que Sainte Beuve a qualifié de "net, svelte, alerte, coupé au vif".
Carmen connaîtra cependant une popularité inattendue grâce à l'opéra que Georges Bizet en tirera en 1873, trois ans après la mort de l'écrivain. Sous la plume des librettistes Meilhac et Halévy, le personnage, comme la signification que Mérimée a voulu donner à son récit, seront victimes de quelques altérations. Ainsi prendra naissance un "mythe de Carmen" qui, affirmant son indépendance vis-à-vis de la nouvelle originelle, aura sa vie propre... jusqu'à ce que, au XXème siècle, des chorégraphes, des metteurs en scène de théâtre et de cinéma, de Peter Brook à Carlos Saura, Jean Luc Godard ou Francesco Rosi, s'en emparent pour en tirer les oeuvres les plus diverses par le ton et par le sens.

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