L'ABDICATION DE LOUIS PHILIPPE

 Le 24 février 1848, au lendemain de la fusillade du boulevard des Capucines, le mouvement de protestation en faveur de réformes s'est transformé en révolution. Dépassé par les événements, Louis Philippe tergiverse, puis se résout à abdiquer en faveur de son petit fils, le jeune comte de Paris. Mais il est trop tard pour sauver le régime de Juillet, et sans doute aussi la monarchie.

La fusillade du boulevard des Capucines a mis le feu aux poudres. Dans la nuit du 23 au 24 février 1848, Paris s'est hérissé de barricades. Au petit matin, les émeutiers de la veille sont devenus des révolutionnaires. Sortant de chez lui de bonne heure, l'historien Alexis de Tocqueville remarque : "Le milieu de la rue était vide; les boutiques n'étaient point ouvertes; on ne voyait pas de voitures ni de promeneurs; on n'entendait point les cris ordinaires des marchands ambulants; devant les portes, les voisins causaient entre eux, à demi voix, par petits groupes, avec une mine effarée, toutes les figures bouleversées par l'inquiétude ou par la colère. Je croisai un garde national qui, le fusil à la main, marchait d'un pas préssé avec un port tragique; je l'accostai, mais ne pus rien apprendre de lui, sinon que le Gouvernement faisait massacrer le peuple".
Bouleversé par l'issue dramatique de la fusillade du boulevard des Capucines, Louis Philippe commet l'erreur de confier le commandement des troupes de la capitale à l'impopulaire maréchal Bugeaud, dont le nom rime avec répression. Quant aux ministres, pour rétablir l'ordre, ils veulent "inonder" Paris de la Garde Nationale. Mais ses membres (ceux qui n'ont pas fraternisé avec les révolutionnaires) ont le plus grand mal à contenir des insurgés de plus en plus violents. Les Parisiens s'en prennent à 35 d'entre eux qui tiennent un poste à l'angle de la place de la Concorde et de l'avenue Gabriel. Ils s'attaquent au Château d'Eau. Le détachement qui défend la grande bâtisse située au milieu des venelles séparant la place du Palais Royal du Carrousel est enfumé, débordé et en partie massacré.

Comme l'émeute se rapproche des Tuileries, Louis Philippe endosse un uniforme et s'en va passer en revue les 4 000 fantassins et les trois légions de la Garde Nationale, présumés fidèles à l'ordre établi, chargés de défendre le palais. Le roi est accueilli par les cris hostiles de la troupe et, décontenancé, rejoint son cabinet. Mais il n'a plus de Gouvernement! Dépassé par les événements, le comte de Molé, chargé de constituer un nouveau ministère après le limogeage de Guizot, donne sa démission. Louis Philippe se résigne sans enthousiasme à faire appel à Thiers, un de ses anciens Présidents du Conseil. Celui ci n'accepte qu'à la condition d'être rejoint par Odilon Barrot, le chef de l'opposition dynastique, qui gémit : "Thiers n'est pas possible, et mo je ne le suis guère".
Dans la rue, on sait le roi totalement isolé. Submergées, les troupes de Bugeaud se retirent, laissant la capitale aux mains des insurgés. Les chefs du parti républicain et des sociétés secrètes ont pris la tête du mouvement révolutionnaire : en quelques heures, le pouvoir a basculé. Thiers ne cesse de répéter que
"le flot monte, monte". Odilon Barrot se voit asséner un ultimatum par l'astronome Arago, député de l'extrême gauche : "L'abdication avant midi ... sinon la révolution"! Le journaliste Emile de Girardin fait irruption aux Tuileries, la mèche en bataille, et déclare que le roi doit abdiquer.

Louis Philippe interroge les généraux présents : "La défense est elle encore possible?" Pas de réponse. "J'abdique", profère-t-il alors, complètement démoralisé à l'idée de finir "comme Charles X". La reine Marie Amélie le supplie de ne pas consommer une telle lâcheté, proclame la nécessité de se défendre : elle se fera tuer devant lui avant qu'on ait pu toucher à sa personne. Mais le souverain, soutenu par son fils, le duc de Montpensier, prend place à son bureau, celui de Napoléon, et, sans se presser, de sa grande écriture, rédige et signe son acte d'abdication : "J'abdique cette Couronne que la voix nationale m'avait appelé à porter, en faveur de mon petit fils le comte de Paris. Puisse-t-il réussir dans cette grande tâche qui lui échoit aujourd'hui".
Puis, le roi troque son uniforme et son bicorne contre une redingote et un chapeau rond, et, donnant le bras à la reine, rejoint la place de la Concorde par l'allée centrale du jardin des Tuileries. Les insurgés sont aux grilles du palais, et rien n'a été prévu pour le départ de la famille royale. L'attente paraît interminable, jusqu'à ce que deux broughams et un cabriolet viennent enfin se ranger au bas de l'Orangerie. Louis Philippe, la reine et trois de leurs petis enfants montent dans une des voitures, qui prend aussitôt la route pour Saint Cloud. Ils n'ont pas encore passé la barrière de Passy que le peuple envahit les Tuileries.
Le vieux souverain déchu ne cesse de répéter :
"Pire que Charles X, cent fois pire que Charles X..."

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