LE SECOND MINISTERE THIERS

 En 1839, Adolphe Thiers prend prétexte des recherches entreprises pour son Histoire du Consulat et de l'Empire pour justifier de son éloignement des affaires publiques. Il n'en brigue pas moins une nouvelle fois la présidence du Conseil et contribue à renverser le ministère Soult. Le 1er mars 1840, Louis Philippe se résout à l'appeler à la tête du Gouvernement.

Thiers croit vivre l'heure décisive de son existence. Peut être même songe-t-il que, tous ses adversaires étant désormais éliminés, il pourra rester indéfiniment président du Conseil... En 1836, son ministère n'a tenu que sept mois. Le second durera à peine plus longtemps : huit mois. Mais il est capital dans l'histoire du règne de Louis Philippe. Depuis dix ans, le roi a "usé" seize ministères dans le dessein de déconsidérer le parlementarisme et, à l'instar de ses prédécesseurs, de gouverner seul. Il y est de plus en plus décidé, au point qu'il a même osé imposer pendant plus de deux ans le comte Molé, dont le seul titre est d'être l'homme de son bon plaisir. Or voici qu'arrive pour la seconde fois au pouvoir celui qui s'est donné pour programme d'enfermer la royauté dans les limites étroites de la Charte, qui défend une monarchie strictement parlementaire en affirmant haut et fort "le roi règne, mais ne gouverne pas".

Comme en 1836, Thiers a gardé le portefeuille des Affaires Etrangères et s'est de nouveau entouré de personnalités de second plan. Bien que son ministère ne dispose pas de véritable appui à la Chambre, conformément à sa logique libérale il cherche un soutien à gauche. Soutien fragile, comme il le constate lors d'une proposition de loi (apportée par la droite, qui reprend là une idée de la gauche) sur l'incompatibilité entre le mandat de député et le fonctionnariat.
Thiers est contre cette loi mais ne peut s'aliéner les extrêmes, qui y sont favorables. Il la soutient donc officiellement et la fait combattre en sous-main par son collègue Jaubert, qui invite par lettre certains de ses amis à voter pour des commissaires chargés d'enterrer la proposition. Cette manoeuvre déloyale est découverte, et elle aurait perdu le président du Conseil s'il n'avait trouvé le moyen de faire diversion en annonçant... le retour des cendres de Napoléon.
Thiers bénéficie alors d'un sursaut de popularité qui alarme la gauche. Par l'intermédiaire de Laffitte et de Dupont de l'Eure, celle ci remet à l'ordre du jour la réforme électorale en demandant d'accorder le suffrage à tous les gardes nationaux sans condition de cens. Des pétitions réunissant près de 250 000 signatures appuient cette proposition de loi, qui est discutée à partir du 18 mai 1840. Thiers s'y oppose sèchement :
"La souveraineté nationale, je n'en connais pas d'autre que celle du roi et des deux Chambres". Il parvient à faire reporter la question à l'ordre du jour de la session suivante et, le 15 juillet, croit avoir gagné la partie. Mais, pour n'avoir pas compris la nécessité d'étendre le suffrage au besoin jusqu'à l'universalité, la monarchie de Juillet sera balayée par la Révolution de 1848.

Bien que rallié à l'alliance anglaise, Thiers entend maintenir le soutien de la France au vice roi d'Egypte Méhémet Ali contre la Sublime Porte. L'Angleterre, la Prusse et l'Autriche, redoutant que l'empire ottoman ne s'effrite et ne devienne une espèce de "zone chaotique", appuient une Turquie souveraine. Quant à la Russie, elle joue double jeu : elle espère sauvegarder les avantages qu'elle a retirés du traité signé avec la Porte et fait tout pour brouiller la France et l'Angleterre. Sa manoeuvre réussit, et par le traité de Londres, signé le 15 juillet, les Quatre Puissances prennent parti pour le sultan ottoman et posent un ultimatum à l'Egypte. Thiers négligeant les conseils de prudence de son ambassadeur à Londres, François Guizot, joue les va-t-en-guerre pour sauver l'honneur de la France, comme le réclame l'opinion indignée. Il rappelle les soldats des classes 1836 à 1839 et constitue de nouveaux régiments. Mais Louis Philippe ne veut pas que la Sainte Alliance de 1814 et 1815 se reforme contre la Monarchie de Juillet. C'est à ce moment que Méhémet Ali est défait par les armes. La France est humiliée; la Prusse se montre particulièrement aggressive à son égard dans une crise de chauvinisme qui surexcite les esprits.
Le désaccord qui subsiste entre le roi et son président du Conseil quant au choix de la solution pacifique ou belliqueuse aboutit à la démission de Thiers le 28 octobre. Louis Philippe a enfin le champ libre pour préparer la réconciliation de la France avec l'Europe et gouverner comme il l'entend.

Le plus de la fiche

Retour Louis Philippe, chef d'Etat

© 2002-2003 cliannaz@noos.fr