JEAN II LE BON, CHEF D'ETAT
JEAN LE BON FAIT EMPRISONNER CHARLES LE MAUVAIS
(Avril 1356)
Le dauphin, le futur Charles V, a convié en son château de Rouen tous les "sang bleu" de la province. A commencer par le comte d'Evreux, Charles le Mauvais, roi de Navarre. La fête bat son plein lorsque surgit Jean II le Bon qui vient se saisir Charles le Mauvais. Excédé des manigances de son cousin avec les Anglais, le roi laisse éclater sa colère qui couve depuis près de deux ans, depuis la mort, en janvier 1354, de son favori le connétable Charles d'Espagne La Cerda.
Dans la salle d'honneur du château de Rouen, les invités du dauphin, qui reçoit en tant que duc de Normandie, font bonne chère. Soudain la porte s'ouvre et l'on vocifère : "Que nul ne bouge s'il ne veut être mort de cette épée!". L'assistance, stupéfaite, voir alors surgir le roi Jean II le Bon, coiffé de son heaume, brandissant l'épée, ivre de colère. A ses côtés, son frère Philippe d'Orléans, son fils cadet Louis d'Anjou et ses cousins d'Artois forment une escorte menaçante. A l'extérieur, une centaine de cavaliers en armes tiennent le château. Jean le Bon se dirige vers la table d'honneur, agrippe le roi de Navarre par le cou et l'arrache violemment de son siège en hurlant : "Traître, tu n'es pas digne de t'asseoir à la table de mon fils!". Colin Doublet, écuyer de Charles le Mauvais, tire alors son couteau pour protéger son maître et menace le souverain. Il est aussitôt appréhendé par l'escorte royale qui, par la même occasion, s'empare du Navarrais.
La colère de Jean le Bon est loin
d'être apaisée. Malgré les supplications de son fils qui, à genoux, implore de ne
point le déshonorer ainsi, le roi se tourne vers Jean d'Harcourt, infatigable défenseur
des libertés provinciales. Il lui assène un violent coup de masse d'armes sur l'épaule
avant d'ordonner son arrestation. Le soir même, le comte d'Harcourt et trois de ses
compagnons, dont l'écuyer Doublet, sont conduits au lieu-dit du Champ du Pardon. En
présence du roi, le bourreau, un condamné à mort qui gagne ainsi sa grâce, leur
tranche la tête.
Deux jours plus tard, la troupe regagne Paris pour célébrer la fête de Pâques. Charles
le Mauvais est emprisonné au Louvre, puis au Châtelet. Mais la capitale n'est pas sûre,
aussi est-il finalement transféré à la forteresse d'Arleux, près de Douai.
Incarcéré, Navarre gagne en popularité. Ses partisans le plaignent et réclament sa
liberté. La Normandie gronde et nombreux sont les barons qui renient l'hommage prêté au
roi de France et se tournent vers Edouard III d'Angleterre. Pour eux, Jean le Bon a
outrepassé ses droits en arrêtant un prince avec qui il a pourtant signé la paix. Pire
encore, ce geste est perçu par les "Navarrais" comme le fait d'un roi qui se
sait illégitime et espère éliminer un adversaire dont le seul tort est de défendre ses
droits à la Couronne de France. Tous passent en bloc du côté d'Edouard III qui, dès le
mois de juin, lance ses troupes dans de redoutables chevauchées, en Normandie et en
Guyenne. Le 19 septembre, Jean le Bon est fait prisonnier par les Anglais, après la
défaite de Poitiers.
Le 9 novembre 1357, les Parisiens
apprennent l'évasion de Charles de Navarre. Que s'est-il passé? L'ordre de le libérer
est pourtant venu des états, réunis le 7 novembre, et dominés par Etienne Marcel et
l'évêque de Laon, le "Navarrais" Robert le Coq. Mais à Arleux, les portes de
la forteresse ne se sont pas ouvertes pour autant. Car le dauphin n'a donné aucun ordre.
Mais, sur place, Jean de Picquigny, lié au parti navarrais, a pris le château d'assaut
et délivré Charles de Navarre.
La rédemption du "Mauvais" commence alors qu'une nouvelle humiliation s'abat
sur le dauphin qui doit se résigner à accepter la présence de son beau-frère, non
seulement dans la capitale mais encore dans son Conseil. Mortifié, le futur Charles V
reconnaît finalement le caractère injuste de l'arrestation du Navarrais. Il indemnise ce
dernier et réhabilite ses amis, exécutés en avril 1356.
Le 8 janvier 1358, le roi de Navarre peut faire son entrée solennelle à Rouen. Deux
jours plus tard, les corps des suppliciés, décapités, pendus par les aisselles au gibet
de Bihorel depuis dix huit mois, sont ensevelis après de grandioses obsèques. Toute la
noblesse normande est là, derrière Charles le Mauvais qui triomphe enfin. A Paris, le
dauphin se débat contre l'agitation populaire et boit le calice jusqu'à la lie,
coiffant, sous la menace du nouveau "roi de Paris", Etienne Marcel, le chaperon
rouge et bleu de la révolution parisienne.
Quelques 350 ans plus tard, un autre souverain sera obligé, lui aussi, de porter les couleurs de la ville de Paris... Mais ceci est une autre histoire!
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