CHARLES VII LE VICTORIEUX, LE PEUPLE

 

LE PROCES DES "COQUILLARDS" DE DIJON
(Automne 1455)

En 1455, une bande de malfaiteurs sévissant dans la région de Dijon est démantelée grâce à la sagacité du procureur de la ville. A l'automne, le procès des "Coquillards" va dévoiler les nombreux méfaits d'une organisation qui s'étend bien au-delà de la Bourgogne.

En 1455, les échevins de Dijon en ont plus qu'assez. Depuis plusieurs années, une bande de malfaiteurs sévit dans la région. La ville, les villages des alentours, les routes, les foires sont le théâtre de méfaits de plus en plus nombreux. La guerre de Cent Ans enfin terminée, l'heure est à la pacification et à l'élimination des bandes réunissant surtout des soldats démobilisés et des paysans ruinés, tels les Ecorcheurs et les Caïmans, qui écument les rues de Paris. Les "Coquillards" sont une de ces "sociétés" de malfrats. Placés sous l'invocation de Saint Jacques, ils doivent leur nom à la coquille que portent les pélerins de Compostelle, les faux pélerins se mêlant aux vrais pélerins pour les détrousser la nuit venue. Rassemblés en une association d'environ cinq cents "compagnons" répartis dans tout le royaume, ils sont extrêmement bien organisés : plutôt que d'agir isolément, ils échangent ou se vendent des informations sur les mauvais coups envisageables et se regroupent en fonction de leurs "spécialités". Ils appartiennent à toutes les "professions" du crime : ils sont informateurs, forceurs de serrures, coupeurs de bourses, tricheurs au jeu, receleurs, escrocs, hommes de main, filles de joie, rabatteuses. Leur chef est le "roi de la Coquille". Las de leurs méfaits, les Dijonnais pressent le procureur de la ville, Jehan Rabustel, d'y mettre fin.

L'enquête du procureur est efficace. Début octobre, deux barbiers soupçonnés d'être en cheville avec les malfrats, Perrenet le Fournier et Jehanin de Barly, sont interpellés afin d'être auditionnés. La nuit suivante, un coup de filet a lieu à la maison commune tenue par Jaquot de la Mer. Cet établissement héberge les Coquillards et leur sert de lieu de réunion. Une douzaine de personnes, cachées dans des coffres, sont arrêtées. Lors des débuts de l'instruction, les inculpés gardent obstinément le silence. Rabustel propose alors au plus jeune prisonnier, Dimanche le Loup, de dénoncer ses complices en échange de sa libération. Ce dernier accepte le marché, de même que le barbier Perrenet. Leurs aveux permettent d'arrêter soixante trois affidés à la Coquille.
Si beaucoup des Coquillards sont étrangers à la Bourgogne, certains de leurs complices sont des Dijonnais ne payant pas de mine, comme Jaquot de la Mer, sergent de la municipalité. Le roi de la Coquille est un certain Regnault Dambourg, tailleur de pierre au service du duc de Bourgogne. Le barbier Jehanin de Barly révèle que Dambourg est un récidiviste, qui a été arrêté plusieurs mois auparavant à Toul, en Lorraine. Ainsi démantelée et désorganisée, la bande ne survivra que peu de temps. Devant le manque de preuves, la justice sera relativement clémente : trois bandits seront pendus, dont Jaquot de la Mer et Dimanche le Loup (malgré les promesses qui leur ont été faites par Rabastel), deux autres seront bouillis pour faux-monnayage; et plusieurs bannis de la ville ou de la région.

Le procès des Coquillards de Dijon (les auditions, les interrogatoires, les témoignanges) est fidèlement retranscrit par Jehan Rabustel. Le procureur s'intéresse en premier lieu à l'organisation et au fonctionnement de la bande, mais pour cela il doit élucider le mystère du "langage exquiz", ce jargon ou "jobelin" dont usent les compagnons de la Coquille pour communiquer entre eux. Les quelque cent mots figurant dans le rapport du magistrat désignent essentiellement les spécialités ou les délits. Il y est question des "crocheteurs", qui forcent les serrures, des "vendangeurs", qui coupent les bourses, des "esteveurs", les escrocs, des "baladeurs" ou "planteurs", les marchands de faux bijoux, des "bazisseurs", les assassins.
La compagnie est très hiérarchisée. Commandée par un "roi", elle réunit des "longs", les plus savants et les plus compétents, des "maîtres" et des "gascâtres", les apprentis. Lorsqu'ils pensent qu'ils sont espionnés dans une taverne, "ils crachent à la manière d'une homme enrhumé qui ne peut avoir sa salive" et changent de conversation. Dans leur jargon, les jambes sont les "quilles", les oreilles les "anses", leur victime le "dupe", les sergents les "gaffres", les prêtres les "rats". Le document du procureur Rabustel sera retrouvé par hasard au milieu du XIXème siècle dans un parfait état de conservation, par un archiviste de Dijon qui en publiera quelques extraits sous le titre Les Compagnons de la Coquille, Chronique dijonnaise du XVème siècle. Cette découverte sera primordiale pour les historiens de la langue française, en particulier pour les spécialistes de l'argot; et permettra d'envisager l'oeuvre du poète François Villon sous un éclairage totalement nouveau.

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