LA RANCON, UNE CONSIDERABLE SOURCE DE PROFIT
Voués à la guerre, les chevaliers trouvent
là, outre l'occasion de se couvrir de gloire et de lauriers, une source de revenus
non négligeable. La rançon, usage commun au Moyen Age, leur rapporte des bénéfices
autrement plus importants que ceux tirés de leurs fiefs. Mais la pratique de
la rançon a ses aléas. Prendre ou être pris, c'est, si la fortune des armes
est favorable, gagner gros ou, au contraire, risquer de tout perdre.
Personne, pas même le roi, n'est à l'abri
d'être rançonné. Ainsi, à l'issue du désastre de Poitiers, le 19 septembre 156,
Jean II le Bon, tombé aux mains de l'ennemi, est remis au Prince Noir et emmené
en captivité à Londres. Le prix de sa rançon, énorme, est fixé à trois millions
d'écus, soit deux années de revenu de la Couronne de France. Capturé en 1192
par les hommes du duc d'Autriche, Richard Coeur de Lion, est libéré contre six
mille livres. Saint Louis, fait prisonnier en Egypte en 1250, doit s'acquitter
d'une rançon de deux mille livres.
Avec le butin pris à l'adversaire, la rançon
est le meilleur moyen de rentabiliser une guerre. Car le chevalier qui rejoint
l'ost doit faire face à de lourdes dépenses. Devant à son suzerain le service
de la chevauchée, il n'est pas rétribué et tous les frais sont à sa charge.
La monture, l'armure, les armes coûtent une véritable fortune, sans compter
l'entretien des suivants. A partir du XIIème siècle, avec le code de la guerre
courtoise, l'idéal chrétien veut alors qu'on laisse la vie sauve au vaincu et
qu'on lui rende sa liberté contre rançon. Vaincre sans tuer est alors un gage
de valeur et de bravoure. Cela peut aussi s'avérer très lucratif et cet usage,
d'abord guidé par le sens de l'honneur, sera vite perverti. Ainsi, on cherche
d'abord à faire des prisonniers et chacun tend à oeuvrer pour son propre compte. Lors
de la Guerre de Cent Ans, certains chefs ont dû interdire de courir la prise,
de peur de voir les combattants rompre les rangs, s'égailler dans la campagne
et perdre de vue l'essentiel : la victoire. A Crécy, en 1346, Edouard III
d'Angleterre doit sermonner ses troupes avant d'ordonner que le combat soit
sans merci. Il arrive même que certains monarques soient contraints d'exiger
de leurs vassaux, contre dédommagement, la libération d'un prisonnier afin de
mieux négocier un traité.
Le vaincu est soumis à son "maître".
Celui ci négocie la rançon, dont il tirera seul profit, avec son captif qu'il
garde soigneusement enfermé. Puis, soit on fait parvenir les exigences du maître
aux proches du détenu, soit on libère ce dernier qui rassemblera lui-même la
somme demandée. Dans cette éventualité, le maître est en droit d'exiger des
otages, dont les frais d'entretien sont à la charge du rançonné. La rançon
est une dette d'honneur dont tout chevalier doit s'acquitter sous peine de honte
et de discrédit. Celui qui renâcle ou tarde à payer s'expose au "Déhonorement",
des sortes d'affiches le représentant pendu par les pieds, ses armes bien en
évidence pour qu'il soit aisément reconnu, placardées aux portes de son château
et des églises. Reste à trouver l'argent de la rançon. Les grands seigneurs
peuvent faire appel à leurs vassaux qui, par l'hommage, se sont engagés, dans
ce cas précis, à l'aider. Un prisonnier de modeste extraction doit souvent vendre
ses biens, hypothéquer ses terres ou avoir recours à l'emprunt. Il peut aussi
passer un accord avec son maître qui le libère contre un paiement échelonné
assorti d'intérêts. Pour des sommes importantes, le règlement s'étale parfois
sur plusieurs générations. Certaines familles sont ruinées et les procès pour
défaut de paiement sont monnaie courante.
Rançonner un adversaire est certes lucratif
et, en l'occurence, seule la prise d'un chevalier présente un intérêt. Aussi
ne fait-on pas de quartier à la vile engeance qu'est la piétaille, qui de son
côté ne se prive pas de massacrer la noblesse. Mais la pratique de la rançon
entraîne de lourdes dépenses. Le captif a droit aux honneurs et, s'il reste
prisonnier, doit être entretenu comme il le mérite. C'est pourquoi on cherche
autant que possible à s'emparer d'un adversaire ayant une position sociale équivalente
à la sienne. Les hérauts d'armes jouent un rôle décisif. Par la lecture des
blasons, ils distinguent les chevaliers et leur rang. Leurs informations permettent
de choisir parmi les combattants celui dont la capture sera la plus lucrative. Le
maître qui ne peut assumer l'entretien de son prisonnier a la ressource de le
livrer à un seigneur plus puissant en échange d'un dédommagement. Ainsi Denis
de Morbeque (à qui, à Poitiers, Jean le Bon a remis son gant) livre le roi de
France au Prince Noir. Sa compagnie est récompensée et lui même reçoit d'Edouard
III d'Angleterre une pension à vie. Exiger une forte rançon permet en outre
de neutraliser un adversaire puissant que l'on souhaite écarter du champ de
bataille ou de la vie politique. Ainsi, Jean le Bon exilé à Londres, la France,
laissée au gouvernement du dauphin, le futur Charles V, jeune et inexpérimenté,
sombre dans une longue période de troubles.
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