LES DEMOISELLES DE SAINT CYR NE JOUERONT PAS "ATHALIE"
EN PUBLIC
L'événement extraordinaire qu'ont été les
représentations d'Esther, de Jean Racine, par les demoiselles de Saint
Cyr, ne se reproduira pas. Athalie, la nouvelle pièce du dramaturge, est mise
en répétition à partir de juillet 1690. Mais, en février 1691, sous la pression
des dévots qui craignent pour la moralité des jeunes filles, la marquise de
Maintenon renonce à ce que ses protégées jouent en public.
Au début de l'année 1689, les demoiselles
de Saint Cyr, la maison d'éducation fondée par la marquise de Maintenon, l'épouse
de Louis XIV, ont créé l'événement en interprètant Esther de Jean Racine,
devant le roi, sa famille, la Cour et tout ce que le royaume compte de hauts
personnages. Le triomphe a été tel que, dès l'année suivante, on songe à recommencer
: "Racine va retravailler à une autre
tragédie. Le roi y a pris goût, on ne verra autre chose",
annonce la marquise de Sévigné. En attendant, on reprend Esther, qui
suscite toujours le même engouement. En mars, on ébauche le travail des choeurs
de la nouvelle pièce. En juin 1690, Athalie est achevée : le dramaturge
en donne lecture dans les salons les plus cotés, tandis que les premières représentations
commencent en juillet.
Comme pour Esther, Racine a choisi
un récit biblique. La reine de Juda, Athalie, est violemment troublée par un
rêve dans lequel lui est apparu un enfant menaçant. Au temple de Jérusalem,
elle reconnaît cet enfant dans Eliacin, l'un de ses petits-fils, que le grand
prêtre Joad a sauvé du massacre des descendants du roi, qu'elle a ordonné après
le décès de son époux. Après plusieurs péripéties, la pièce se termine par la
mise à mort d'Athalie. Certes, l'oeuvre comporte des passages de poésie religieuse
d'une grande pureté. L'auteur y dépeint de façon édifiante les excès qu'entraînent
les instincts humains et conclut au triomphe de Dieu. Cependant, la violence
des passions, la sensibilité extrême qui s'y expriment choquent certains, et
bien vite quelques accrocs se produisent. Le curé de Versailles, François Hébert,
trouve "ces sortes de divertissements
(...) absolument contraires à la piété et à l'esprit du christianisme".
D'autres voix se joignent à la sienne, déplorant ces événements mondains, ces
représentations à grand spectacle, l'agitation que tout ceci suscite autour
des demoiselles de Saint Cyr : "On
leur ôte par ce moyen cette honte modeste qui les retient dans leur devoir",
affirme Hébert. Les détracteurs d'Athalie soulignent l'indécence d'exposer
ces jeunes filles aux yeux de tous, à la promiscuité "presque
pas raisonnable" avec les jeunes gens de la Cour.
"Quelquefois les choses les mieux instituées dégénèrent, et cet endroit
(la maison d'éducation de Saint Cyr) qui, maintenant que nous sommes dévots,
est le séjour de la vertu et de la piété, pourra quelque jour être celui de
la débauche et de l'impiété", insinue Madame de Lafayette. Quelques
incidents surviennent qui semblent confirmer le bien fondé de ces critiques
: certaines des demoiselles refusent, à la suite d'Esther, d'interpréter
les chants d'Eglise, rechignent à accomplir les tâches ménagères, bref, manifestent
de véritables caprices de vedettes.
Madame de Maintenon préfère faire marche
arrière. En novembre, elle prend le parti de priver Athalie de tous les
accessoires spectaculaires, des décors, de la musique, des costumes qui ont
contribué au succès d'Esther mais qui sont trop à même d'exciter les passions.
En janvier et février 1691, des répétitions ont lieu entre des demoiselles qui
jouent très simplement, avec un clavecin pour tout accompagnement. Louis XIV
assiste cependant à des représentations privées, notamment le 22 janvier, en
compagnie de son confesseur, le père de La Chaise, de l'abbé de Fénelon et de
quelques hauts dignitaires. Mais on est loin de la foule galante qui accourait
aux représentations d'Esther. On voit même l'évêque de Chartres, dont dépend
Saint Cyr, refuser d'assister au spectacle. Bien plus, durant la représentation
du 22 janvier, il tient à l'intérieur même de l'école une conférence dans laquelle
il dénonce "les mascarades scandaleuses", les "débauches
déplorables" auxquelles se livrent certains chrétiens. Athalie
n'est jouée par ailleurs à ce moment là ni à la Cour ni à la ville. Les contemporains
doivent se contenter du texte, achevé d'imprimer le 3 mars 1691 et réédité dès
l'année suivante. Ce n'est qu'en 1702 que Madame de Maintenon accueillera chez
elle une représentation de la pièce donnée par des princes. Quant au public,
il ne découvrira Athalie, interprétée par les acteurs de la Comédie Française,
qu'après la mort du roi, en mars 1716.
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