LA "CROISADE DES ENFANTS"

Au printemps 1212, de leur propre initiative, des milliers de pèlerins, d'Allemagne et de France, se mettent en route pour la Terre sainte. Ce mouvement populaire et spontané ne ressemble à aucune autre croisade. Relatée, vers 1250-1252, cette "Croisade des enfants" prendra sous la plume des chroniqueurs une dimension presque légendaire. Plutôt que de véritables enfants, il semble bien que les pèlerins aient été des déshérités, pauvres parmi les pauvres à l'image du Christ, persuadés d'avoir été désignés par Dieu pour aller délivrer le Saint-Sépulcre

En 1204, la quatrième croisade s'est achevée par le sac et le pillage de Constantinople. Jusqu'à sa mort, le pape Innocent III cherchera à effacer la honte de cette expédition et multipliera les appels en ce sens. L'une des réponses lui vient d'une façon inattendue sous la forme d'une croisade populaire, animée d'un grand élan de mysticisme et d'humilité. Ce mouvement spontané ne ressemble à aucun autre et va déconcerter autant l'Église que les princes et les chroniqueurs du temps. Un de ces derniers, originaire de Trèves, rapporte que : "Le monde connut en ce temps-là maints événements miraculeux. Un surtout mérite d'être commémoré, dont l'histoire ne connaît point d'autre exemple".

Le mouvement naît en Allemagne entre Pâques et la Pentecôte de l'année 1212. Des milliers de personnes, laboureurs et manoeuvriers, quittent troupeaux et charrues et se mettent en marche vers Jérusalem avec le dessein d'aller délivrer le Saint-Sépulcre. Les pèlerins se rassemblent autour d'un certain Nicolas, brassier des environs de Cologne, qui prétend avoir eu la vision d'un ange. A quel mystérieux appel répondent ces pauvres gens? Certains affirment suivre la volonté de Dieu qui les a désignés pour reconquérir le Saint Sépulcre, mission à laquelle les rois et les princes ont failli.
Partie de Cologne, la cohorte atteint Spire le 25 juillet puis se dirige vers l'Alsace. A chacune de leurs haltes, les pèlerins sont chaleureusement reçus et nourris. Seul le clergé est réticent, accusant les pauvres croisés de crédulité et, surtout, entendant se garder l'exclusivité de l'appel et de la direction de toute croisade. Sous la canicule, beaucoup périssent de faim et de soif. Pourtant, toujours chantant et priant, la troupe franchit les Alpes par le col du Brenner, traverse Plaisance, le lundi 20 août, et arrive à Gênes cinq jours plus tard. Là, on attend, que, comme l'a promis Nicolas et par la grâce de Dieu, les eaux de la Méditerranée s'ouvrent, ainsi devant Moïse et les siens fuyant l'Égypte. Hélas, le miracle ne se produit pas. Amers et abattus, les pèlerins se séparent. Certains se rendent à Marseille, d'autres à Rome afin de prier le pape de les relever de leur voeu de croisade. A Brindisi, malgré les avertissements de l'évêque qui soupçonne le père de Nicolas d'avoir conclu un marché avec les pirates infidèles, ceux qui réussissent à s'embarquer font naufrage ou sont capturés et vendus comme esclaves aux Sarrasins. L'expédition est un désastre. Un témoin écrit vers les années 1230 : "Beaucoup d'entre eux furent retenus comme esclaves par des marins, et transportés vers d'autres terres lointaines. Ceux qui prirent le chemin du retour, revenaient en silence, un par un, nus pieds et faméliques. Ils étaient en butte à toutes les avanies et plus d'une jeune fille fut enlevée et perdit la fleur de sa pudeur".

Un mouvement similaire se produit en France. En juin 1212, à Cloyes-sur-le-Loir, des milliers de pauvres gens affluent de toutes les provinces du royaume pour se placer sous la houlette d'un jeune berger, Étienne. Celui-ci prétend que le Christ lui est apparu sous les traits d'un misérable pèlerin, lui a demandé du pain et lui a remis une lettre destinée au roi Philippe Auguste.
Combien sont-ils? 30 000 ? Vers 1250, un auteur anglais relate par ouï-dire : "Rien ne
réussissait à les empêcher de suivre leur guide vers la mer Méditerranée, comme s'ils allaient la traverser. Ils s'avançaient processionnellement en chantant et en modulant leur refrain. Aucune ville ne pouvait les contenir, tant ils étaient nombreux. Leur chef était placé sur un char orné de draperies. Il était entouré de ses compagnons armés et psalmodiant". La troupe se rend à Saint Denis. Là, Étienne réalise de nombreux miracles. Philippe Auguste, fort embarrassé, consulte ses conseillers. Et décide de renvoyer tous ces pèlerins chez eux.
Et ensuite? Ont-ils tout de même tenté de se rendre en Terre sainte? Le roi a-t-il réussi à les en dissuader? Selon certaines sources, beaucoup se seraient embarqués à Marseille, où ils auraient été livrés aux pirates qui les auraient tués ou vendus comme esclaves...

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