BALZAC PUBLIE EUGENIE GRANDET

En 1833, Honoré de Balzac a 34 ans et a déjà publié plusieurs romans, qui ont connu un succès inégal. En décembre, la publication d'Eugénie Grandet va lui apporter un début de reconnaissance de la part du public et de la critique.

Honoré de Balzac aime les femmes, mais elles le font trop souffrir. A la fin de l'année 1832, il a rompu avec la marquise de Castries, après une liaison passionnée, mais restée platonique, qui a duré près de deux ans. Furieux et frustré, il se lance pour oublier dans un nouveau projet : celui d'Eugénie Grandet. Commencée sous la forme d'une nouvelle à paraître dans la revue L'Europe littéraire, l'oeuvre prend au fils de la rédaction des proportions innatendues. Le directeur du journal s'impatiente. Le manuscrit, qu'il devait recevoir en août, ne lui parviendra qu'un mois plus tard et commencera à paraître le 19 septembre.
Si Balzac ne peut honorer la commande, c'est que la rédaction d'Eugénie Grandet est perturbée par sa vie sentimentale. Depuis février 1832, l'écrivain entretient en effet une correspondance suivie avec Ewelina Hanska, une comtesse polonaise qui vit en Ukraine. Or celle ci doit séjourner à Neuchâtel, en Suisse. Et Balzac ne veut à aucun prix manquer l'occasion de rencontrer celle qui, dans sa première lettre, signée "l'Etrangère", lui a affirmé :
"En lisant vos ouvrages, mon coeur a tressailli; vous élevez la femme à sa juste dignité; j'admire en vous cette sensibilité d'âme qui vous la fait deviner".

Balzac a donc quitté Paris. A son retour, le 4 octobre, il se brouille avec le directeur de L'Europe littéraire". Il lui faut trouver une solution qui lui permette de publier Eugénie Grandet. En août 1833, il propose le roman à son éditeur, Charles Gosselin. Mais, le 13 septembre, celui ci refuse. Finalement, l'écrivain trouve acquéreur en la personne de madame Charles Béchet, une éditrice avec qui il signe un contrat le 20 octobre. Triomphant, il écrit à madame Hanska : "Ils crèveront tous de jalousie. Mes études sont achetées 27 000 francs. Depuis les 25 volumes de Chateaubriand, il n'y a pas eu de marché semblable". Désormais, le romancier n'est plus pressé par le temps et peut développer à loisir la lutte qui oppose Eugénie à son père.
Balzac voit la vie sous un jour meilleur. Le contrat conclu avec madame Charles Béchet doit lui permettre de faire face aux dettes qui commencent à s'accumuler. Il faut dire que l'écrivain aime les femmes et les plaisirs. Il fréquente aussi assidûment les salons parisiens. Depuis que son roman La Peau de chagrin, publié en 1831, lui a apporté le succès, il conjugue jusqu'à l'épuisement vie mondaine et travail acharné. Quand, comme lui, on mène grand train, il faut en payer le prix. Et c'est pire quand on ne soucie guère d'économie. En cette année 1833, Balzac loue une loge à l'Opéra, emménage dans un appartement avec balcon au deuxième étage, rue Cassini, au pied de la Montagne Sainte Genviève, tout près du Panthéon. Pour finir de vivre au dessus de ses moyens, il fait des frais de toilette, commande un habit bleu à boutons d'or et des gilets de soie, et s'offre un tilbury avec laquais pour ses déplacements en ville.

Lors de sa sortie en librarie, en décembre 1833, Eugénie Grandet recueille les louanges des critiques les moins disposés. Même Sainte Beuve, qui place son auteur loin derrière Victor Hugo, consent à qualifier l'oeuvre de "charmante histoire", allant jusqu'à admettre qu'il n'écarte que "de bien peu" le terme de chef d'oeuvre.
Désormais, ses pairs considèrent donc Balzac comme un créateur à part entière, peintre de ses contemporains jugé digne de prendre place aux côtés de ceux qui ont renouvelé le roman, Walter Scott, Victor Hugo ou Alfred de Vigny. Plus tard, il ressentira de l'amertume devant l'engouement systématique suscité par Eugénie Grandet. Toutes les vertus dont on pare ce roman lui sembleront dissmuler le dédain dans lequel nombre de ses contemporains ont longtemps tenu l'ensemble de son oeuvre.
Sous le titre générique de Etude de moeurs au XIXème siècle, qui en 1841 deviendra La Comédie humaine, Honoré de Balzac travaille à regrouper et à réorganiser l'ensemble de ses romans. Il retouche certains textes parus dès 1830 comme Le colonel Chabert, qui ouvre la série. Il scinde sa production en différents grands chapitres, tels que les "Scènes de la vie de province", dont fait partie Eugénie Grandet. Pour
"donner la vie et le mouvement à tout un monde fictif", il réunit 95 romans et songe à y ajouter 48 autres, qui resteront au stade de projets ou d'ébauches.

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