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LA REVOLTE DES CANUTS
Gravement affectés par la crise
économique, les canuts lyonnais tentent d'obtenir des salaires décents.
Le préfet Bouvier Dumolard comprend leurs revendications, mais le Gouvernement
de Casimir Perier les traite en rebelles et, au lieu de négocier, envoie
la troupe. Face au mépris de l'Etat, les ouvriers, fer de lance du prolétariat
naissant, vont se tourner vers l'opposition socialiste et républicaine.
Partout
en France, le petit peuple vit de plus en plus dans des conditions misérables.
De l'aube au crépuscule, les ouvriers triment pour de maigres salaires,
en baisse constante du fait de la concurrence des productions étrangères
et de la rémunération à moitié prix du travail des
femmes et des enfants. Aux travailleurs à domicile les patrons réclament
toujours plus d'ouvrage, pour une rétribution toujours plus dérisoire.
Depuis quelques années, les machines à vapeur ont fait leur entrée
dans le monde de l'industrie et de l'artisanat; comme celle de Joseph Marie
Jacquard, inventée en 1804, qui est la première à utiliser
des cartes perforées pour contrôler le motif du tissage. Les ouvriers
les accusent de précipiter la chute des salaires et de provoquer le chômage.
A Lyon, qui a pour spécialité
la fabrication de soieries et d'étoffes brochées, la production
est, comme partout ailleurs, très fluctuante. Une centaine de soyeux
(négociants-banquiers, appelés à tort "fabricants)
passent alors commande aux canuts (les tisserands), financent les opérations
de fabrication, puis commercialisent les produits. Sous l'Empire, un ouvrier
recevait de quatre à six francs par jour. En 1831, il ne perçoit
plus que 18 à 25 sous pour 15 à 18 heures de travail quotidien. Les
chefs d'atelier et leurs employés sont vivement préoccupés
par cette chute inexorable des salaires. Le 18 octobre 1831, sur l'initiative
du conseil des preud'hommes et avec l'assentiment du préfet Bouvier Dumolard,
une association de délégués de canuts, d'ouvriers et de
fabricants vote un tarif de rémunération minimum. Le 26 octobre,
cette mesure, qui va permettre à chacun de vivre décemment, est
adoptée. Les tisserands se croient tirés d'affaire et organisent
de joyeux cortèges dans les rues illuminées de la ville. Hélas!
Certains négociants invoquent les principes de la Révolution et
arguent de la loi Le Chapelier de 1791 s'opposant à toute intervention
des pouvoirs publics dans les relations de travail. Refusant d'appliquer l'accord
sur le salaire minimum, ils protestent auprès du Gouvernement. Le droit
de grève n'existant pas, l'émeute devient inévitable. Quelques
soyeux notoires sont brûlés ou pendus en effigie et les métiers
à tisser sont arrêtés.
Le 21 novembre, les canuts et leurs compagnons
manifestent dans la ville basse. L'armée met Lyon en état de défense
: indignés, les ouvriers se préparent à l'insurrection.
Le drapeau noir, portant l'inscription : "Vivre en travaillant ou mourir
en combattant", flotte sur la colline de la Croix Rousse. Les insurgés
enlèvent deux pièces de canon et ouvrent le feu. Le lendemain,
rejoints par une partie de la Garde Nationale, des habitants des faubourgs et
des sympathisants républicains et socialistes, ils se rendent maîtres
de la ville, que les autorités ont dû se résigner à
abandonner. Informés par télégraphe, Louis Philippe
et le Président du Conseil Casimir Perier dépêchent la troupe
de toute urgence. Le 3 décembre, pas moins de 20 000 hommes commandés
par le maréchal Soult, ministre de la Guerre, et le duc d'Orléans,
le fils aîné du roi, font leur entrée à Lyon sans
se heurter à une résistance sérieuse. La tentative de médiation
du préfet Bouvier Dumolard se révèle inutile. D'autant
que cette initiative est désavouée par le Gouvernement. Le 5 décembre,
l'ordre est rétabli et la ville est occupée par les soldats. Quant
aux canuts, ils n'ont rien obtenu : aucune de leurs revendications n'a été
prise en considération... Cette concession malheureuse à un
patronat las du désordre et réclamant un Gouvernement énergique
va accélérer la prise de conscience politique du monde ouvrier.
Le prolétariat naissant qui, jusque-là, s'est plus préoccupé
de survivre que de comparer les différentes conceptions de l'art de bien
gouverner, va désormais fournir des recrues en nombre à l'opposition
républicaine et socialiste.
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Louis Philippe, le Peuple
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