LE PROCES DES DERNIERS MINISTRES DE CHARLES X

Aux yeux des Français, les ordonnances de Charles X (suspension de la liberté de la presse, dissolution de la nouvelle Chambre, réduction du nombre des députés), qui ont déclenché la Révolution de Juillet 1830, ont été une trahison, une violation de la Charte. Si, en apparence, le peuple a triomphé avec l'avènement de Louis Philippe, le "roi citoyen", lors des Trois Glorieuses, le sang a coulé. C'est pourquoi on demande des comptes aux derniers ministres du roi en exil.

Ni Louis Philippe, ni son Gouvernement, ni la majorité des députés ne veulent de ce procès. Si aucune loi ne prescrit un quelconque châtiment pour un ministre ayant commis un acte de trahison, il faut cependant lâcher du lest au peuple, qui réclame les têtes des quatre ministres du dernier Gouvernement de Charles X, emprisonnés au château de Vincennes : Peyronnet, ministre de l'Intérieur,Chantelauze, Garde des Sceaux, Guernon Ranville, ministre de l'Instruction Publique et des Cultes,et, surtout, Polignac, chef du Gouvernement, particulièrement impopulaire parce qu'ancien émigré et fils d'une favorite de Marie Antoinette. Cédant sous la pression du peuple, les députés votent leur mise en accusation. Le Gouvernement de Louis Philippe essaie de trouver une échappatoire en déposant un projet de loi abolissant la peine de mort. Mais, devant les remous de la presse de gauche et les hordes de manifestants qui se pressent aux portes du Palais Royal aux cris de "Mort aux ministres ou la tête de Louis Philippe!", la motion est retirée. Le 15 décembre 1830, après huit semaines d'instruction, le procès s'ouvre dans l'effervescence à la Chambre des Pairs, devenue pour l'occasion Cour de Justice.

Cinq jours plus tôt, les prisonniers ont été transférés ai Petit Luxembourg, tout près du lieu de leur jugement, sous l'impressionnante escorte de la Garde Nationale à cheval et d'un bataillon d'artillerie. Le service d'ordre est tout aussi imposant : le marquis de La Fayette, commandant suprême de la Garde Nationale, a commandé à 50 000 de ses hommes de porter l'uniforme à toute heure du jour.
Les sept derniers ministres de Charles X (dont trois sont en exil) sont accusés de haute trahison. Polignac, en particulier, est inculpé pour avoir déclenché la guerre civile par une série d'actes de provocation et pour avoir violé la Charte sans justification. Il apparaît très vite que l'ancien chef du Gouvernement n'a nullement eu conscience de perpétrer un coup d'Etat, il n'a pris aucune mesure de sauvegarde en cas d'insurrection. Comme Charles X, il a seulement interprété largement les pouvoirs que lui conférait la Charte. Cependant, il a donné l'ordre de tirer sur la foule. Le procureur maintient donc l'accusation et requiert la peine de mort. Le comte de Martignac, ancien rival politique de Polignac, plaide la cause des accusés en invoquant l'illégalité du procès et la porte qu'une peine capitale risquerait d'ouvrir à la violence. A la fin de son intervention, il est évident que les Pairs, déjà réticents à cette idée, ne condamneront pas les ministres à mort.

Mais, pendant toute la durée des débats, la foule s'est rassemblée autour du Palais du Luxembourg et certains politiques expriment leurs craintes quant à la loyauté de la Garde Nationale. Ils redoutent la réaction du peuple, dont les cris de "Mort aux ministres!" montent jusqu'à eux. Aussi Pasquier le président de la Chambre des Pairs décide, avec le comte de Montalivet, le ministre de l'Intérieur, de faire sortir les prisonniers avant le verdict. Depuis le début de l'affaire, Louis Philippe compte bien sur Montalivet pour que les accusés aient au moins la vie sauve. Grâce au ministre de l'Intérieur, ces derniers peuvent en effet s'échapper par une porte dérobée et être conduits en sûreté à Vincennes.
Le lendemain, 21 décembre, la cour rend son arrêt : les ministres de Charles X sont reconnus coupables et condamné à la détention à perpétuité. Polignac est en outre frappé de "mort civile", privé de tous ses droits civils, y compris celui d'être propriétaire. Les trois ministres en fuite sont condamnés aux mêmes peines par contumace. Ce verdict provoque un soulèvement populaire d'une rare ampleur dans les rues de Paris. On tente encore une fois d'envahir le Palais Royal. Les députés prennent peur et ordonnent de nombreuses arrestations.
Tandis que la force publique est mise à la disposition du Gouvernement, la fonction de commandant suprême de La Fayette est supprimée. Celui-ci démissionnera le 24 décembre, croyant la Garde Nationale prête à se rebeller. Mais il n'en sera rien. Les élèves des grandes écoles (Polytechnique, les facultés de médecine et de droit), répugnant à la peine de mort, joueront le rôle de modérateurs et la Garde Nationale restera loyale. L'agitation retombera rapidement, presque aussi vite qu'elle est montée. Et la Monarchie de Juillet sortira de la crise consolidée.

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