DELACROIX ET "LA LIBERTE GUIDANT LE PEUPLE"

Au Salon des artistes de 1831, Eugène Delacroix expose un tableau inspiré des événements révolutionnaires de 1830, La Liberté guidant le peuple. L'oeuvre, parfait symbole de l'aspiration à la liberté des hommes du temps, a un succès foudroyant et consacre le peintre comme le chef de file incontesté de ce nouveau mouvement artistique qu'est le romantisme.

La Révolution de 1830 a chassé Charles X du trône et amené au pouvoir des hommes qui vont jouer un rôle décisif dans la carrière d'Eugène Delacroix : le duc d'Orléans, devenu roi sous le nom de Louis Philippe, le politicien Adolphe Thiers et, surtout, le diplomate Charles Maurice de Talleyrand Périgord. Certains affirment que Delacroix aurait été le fils natuel de ce dernier, ce qui expliquerait les nombreuses commandes officielles et la protection dont le peintre a bénéficié malgré son art non conformiste.

Le père légitime de Delacroix, après avoir été député, ministre et préfet, est mort en 1805, laissant une veuve et un fils âgé de sept ans. Huit ans plus tard, son épouse décède à son tour. Le jeune Eugène étudie au collège Louis le Grand. En 1815, il écrit à un ami qu'il a l'intention d'abandonner le lycée pour faire de la peinture en amateur, mais il n'a rien décidé pour l'avenir. A l'époque, il n'a encore réalisé que quelques essais de gravures à l'eau-forte, dont un amusant travail sur un fond de casserole représentant un bossu, un profil de Bonaparte et un officier à cheval. Heureusement, le jeune homme est lié par sa mère à une célèbre dynastie d'ébénistes du faubourg Saint Antoine : les Oeben et Riesener. Grâce à son oncle Jean Henri Riesener, il entre en apprentissage dans l'atelier du peintre classique Pierre Narcisse Guérin. Lequel doute du talent de son élève : "Il vaut mieux qu'il fasse ça que des dettes", déclare-t-il à Riesener venu prendre des nouvelles de son neveu!
Néanmoins, Delacroix apprend la technique de la peinture et de la lithographie, s'applique à copier les grands peintres exposés au Louvre et se forge un goût allant totalement à l'encontre de celui de son maître. Appelé à collaborer avec Théodore Géricault pour une Vierge au Sacré Coeur destinée à un couvent de Nantes, il découvre une nouvelle manière de peindre, plus libre, plus colorée et exaltée dans ses sentiments et ses sujets. En 1822, Dante et Virgile aux Enfers est sa première oeuvre acceptée au Salon des artistes. Ce sujet médiéval traité dans une expression dramatique et avec des tonalités sombres empruntées à Géricault a un retentissement considérable et lui vaut un débordement d'injures de la part des "classiques", qui rejettent sa nouvelle conception de l'art. Le tableau suscite pourtant l'admiration du politicien Adolphe Thiers, qui signe un article élogieux dans Le Constitutionnel et incite l'Etat à s'en porter acquéreur malgré les foudres de la critique.

"Je n'aime point la peinture raisonnable", note Delacroix dans son Journal en 1824. Cette année-là, il présente au Salon Les Massacres de Scio, une toile considérée pour son souffle tragique et la vibration de la couleur, comme le manifeste de l'école romantique. Trois ans plus tard, sa Mort de Sardanapale va choquer par sa composition tourmentée, violente et sa sensualité.
En 1830, la Révolution de Juillet cristallise ce que les artistes ont charché à obtenir par leur art : la conquête de la liberté. Delacroix s'empare du sujet avec ferveur et met en scène La Liberté guidant le peuple. Ce chef-d'oeuvre, qui résume et conclut la jeunesse romantique du peintre, vibre d'une passion réaliste extraordinaire. Lors des journées chaudes et ardentes de juillet 1830, une déesse faugbourienne se dresse dans le ciel de Paris brandissant le drapeau tricolore au-dessus des pavés et des morts, sur lesquels l'oeil ne s'attarde guère. L'artiste s'est représenté sous les traits d'un jeune étudiant, le fusil à la main, aux côtés d'un Gavroche entraînant le peuple en un cortège triomphal. Les couleurs intenses sont accusées par le jeu des ombres et de la lumière, et l'emploi du noir annonce l'art totalement novateur d'un Edouard Manet dans la seconde moitié du XIXème siècle. Exposée au Salon de 1831, cette oeuvre remarquable est, elle aussi, éreintée par la critique, qui lui préfère des travaux de style troubadour, dont le sujet se limite à l'anecdotique et à la technique, conformément au classique hérité de Jacques Louis David. Le peintre, comme tous les grands artistes, choque par le caractère novateur de son art.
Malgré tout, une fois encore l'Etat achète La Liberté guidant le peuple pour la somme de trois mille francs. Delacroix est dès lors consacré chef de file du mouvement romantique et sa Liberté, qu'on peut admirer aujourd'hui au Louvre, est érigée en symbole par le public.

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