LA LOI THIERS SUR LES FORTIFICATIONS DE PARIS

En matière d'urbanisme, l'Etat intervient peu à Paris, aménagement de lotissements, percement de nouvelles rues et modernisation de la ville relevant des compétences municipales et préfectorales. Pourtant, la loi Thiers sur les fortifications, votée le 1er février 1841, va orienter, si ce n'est diriger, le développement de la capitale et des communes environnantes.

Deux fois plus étendu rive droite que rive gauche, Paris est corseté par le mur des Fermiers Généraux, enceinte d'octroi de quatre mètres de hauteur construite à la veille de la Révolution. Ses faubourgs projettent leurs tentacules vers les villages de Passy et d'Auteuil, de La Villette et de Belleville, de Ménilmontant et de Charonne. Après deux siècles d'abandon, l'idée de défendre la capitale par des fortifications est remise à l'ordre du jour : personne n'a oublié l'occupation par les armées ennemies en mars 1814, puis en juillet 1815. Dès 1818, il a été question de "mettre Paris en état de défense" à l'aide soit d'une muraille continue, soit d'un système de forts avancés. En 1840, Adolphe Thiers, alors Président du Conseil, a été chargé de l'entreprise. Avant d'être contraint de démissionner, il a lancé le projet en édictant une ordonnance. Ses successeurs hésitent à reprendre un projet très coûteux et bien peu populaire, dont ils risquent de ne tirer que de l'embarras, alors que l'honneur en reviendra au cabinet précédent. Mais le souci supérieur de la défense nationale et la résolution du roi ne permettent pas de tergiverser. François Guizot, ministre des Affaires Etrangères et homme fort du Gouvernement, est tombé d'accord avec Thiers, qui mène désormais l'opposition à la Chambre.

Le 13 janvier 1841, Thiers, désigné rapporteur de la loi, dépose (alors que les travaux sont déjà commencés) un traité historique, stratégique, topographique et financier sur les fortifications de Paris. Tous les partis s'élèvent contre ce projet. La gauche y voit une menace pour la liberté, un moyen de juguler les rassemblements populaires et les émeutes; les conservateurs, pacifistes, jugent la mesure belliqueuse. Enfin, le montant prévisionnel des dépenses (cent quarante millions de francs) épouvante les financiers. Même le maréchal Soult, qui fait autorité en tant que Président du Conseil et glorieux chef de guerre, se dit persuadé qu'il n'est nul besoin de remparts et que l'on peut défendre Paris par une série de forts. Mais, Louis Philippe exige. Et convainc le maréchal, qui n'a plus qu'à soutenir qu'une enceinte renforcera le système de défense, de lui obéir. Le 1er février la loi est votée.
Entre 1841 et 1845, la nouvelle enceinte est édifiée sur un périmètre de trente cinq kilomètres. Elle est renforcée par quatre vingt quinze bastions, dix huit forts et neuf ouvrages avancés. Dix sept portes s'ouvrent sur des routes nationales, vingt trois barrières sur des routes départementales, douze poternes sur des chemins vicinaux. Cinquante deux voies pénètrent ainsi dans Paris, contre cent quatre vingt neuf aujourd'hui. La servitude non aedificandi (relative aux terrains sur lesquels il est interdit de bâtir) s'applique à une bande de deux cent seize mètres de largeur située en avant de trente quatre mètre de glacis.

L'édification des fortifications suscite de nombreuses protestations. Les propriétaires expropriés et voisins des chantiers se plaignent de la perte de leurs récoltes, des travaux qui rendent les chemins impraticables, de l'obstacle qu'il faudra dorénavant contourner, des servitudes qui vont paralyser l'agriculture et déprécier les terrains. L'enceinte englobe onze communes et en traverse treize autres (les limites communales n'ont pas été modifiées et l'octroi n'a pas été déplacé). Pour la première fois, la croissance considérable de Paris s'exprime aux dépens des villages environnants.
Bientôt va se poser la question de l'annexion des communes situées entre la capitale et les fortifications, qui se fera en 1858. Cette couronne va se substituer au vieux cadre parisien, qui ne peut absorber la croissance démographique et où les loyers augmentent. De 1801 à 1841, sa population augmente de de quatre cent quatre vingt mille habitants auxquels, de 1841 à 1861, s'en ajoutent six cent quarante mille autres; en 1851, la ville compte près de un million trois cent mille habitants. Entre 1840 et 1859, la population de la zone située entre Paris et l'enceinte fortifiée passe de cent vingt cinq mille à plus de trois cent cinquante mille âmes.
Là, pour plus d'un tiers, les rues sont encore des chemins de terre. Les égoûts ne parcourent qu'un vingtième des voies. L'eau, l'éclairage public, le nettoiement, les écoles, l'assistance publique : tout est nettement insuffisant!

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