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ARRETE POUR DOUBLE MEURTRE
Dénoncé comme l'auteur d'un horrible
double meurtre, Pierre François Lacenaire est arrêté le 2 février 1835. Il va
vite devenir célèbre, tant par l'existence rocambolesque qu'il a menée sous
divers noms et déguisements que par sa personnalité peu ordinaire et son attitude
déroutante face à la justice.
Le 14 décembre 1834, passage du Cheval Rouge, les policiers
font une macabre découverte : Jean François Chardon et sa mère baignent dans
leur sang. Près des cadavres, on retrouve un outil pointu et tranchant fixé
sur un bouchon de liège et une hache, qui a servi à achever l'homme. Le parcours
douteux du fils Chardon n'est guère à même d'éveiller la sympathie du public.
Après avoir purgé deux ans pour vol et attentat aux bonnes moeurs à la centrale
de Poissy, cachant "ses vices sous les dehors de la
religion", comme le précise le rapport de police, il s'est fait
une spécialité des escroqueries à la charité. Il aurait même adressé une pétition
à la reine Marie Amélie, qui lui aurait remis une forte somme destinée à un
établissement hospitalier pour hommes. Le crime émeut pourtant l'opinion parce
qu'il a été perpétré avec sauvagerie et que les victimes ont été frappées à
maintes reprises, parce que la veuve Chardon était âgée et malade.
Le 2 février 1835, on arrête à Beaune, pour faux en écriture
de commerce, un certain Jacob Lévy, dont le véritable nom est Pierre François
Lacenaire. Celui-ci s'est montré tellement habile que l'enquête s'est révélée
un véritable casse-tête : il utilise une vingtaine de patronymes différents
et change de physique en pratiquant à merveille l'art de la métamorphose, ce
qui lui vaut d'être décrit par l'un des inspecteurs comme un véritable "caméléon
humain". Il n'a pu être confondu que parce qu'il a été dénoncé
par deux hommes, Pierre Victor Avril et Hippolyte Martin, dit François, détenus
l'un pour vol, l'autre pour escroquerie. On parvient également à rattacher Lacenaire
à une tentative de meurtre sur un jeune garçon de caisse, commise le 31 décembre
1834, rue Montorgueil, à Paris. Le 25 mars 1835, Lacenaire est transféré
à la prison parisienne de la Conciergerie. Devant le chef de la sûreté, il reconnaît
être coupable de l'agression de la rue Montorgueil. Au cours des interrogatoires,
il apprend d'où vient la trahison : il se venge en dénonçant à son tour François
comme complice dans l'affaire de la rue Montorgueil, et Avril comme complice
de l'assassinat de la mère et du fils Chardon. Il se revendique cependant comme
l'auteur principal de ce dernier crime : en 1830, détenu pour suspicion de vol
de cabriolet, c'est à la prison de Poissy qu'il a rencontré Chardon. Mais
ce n'est qu'au fil d'aveux progressifs que les policiers prennent la mesure
des méfaits de Lacenaire. Avant la rue Montorgueil, celui-ci s'est rendu coupable
de deux tentatives de meurtre : le 30 septembre, rue de la Chanvrerie, et le
14 novembre, rue Sartine. Chaque fois, il a agi de la même façon : par le biais
de vols et de faux, il s'est procuré une somme suffisante pour louer un appartement
d'aspect correct et pour y convoquer, sous prétexte de recouvrir une traite
fictive, un garçon de recette. Il a ensuite tenté de s'emparer de l'argent apporté
par le malheureux, après avoir tenté de le tuer par précaution.
Intarissable, Lacenaire poursuit l'énumération de ses
forfaits, notamment une tentative d'assassinat manqué sur une receleuse en septembre
1834. Il avoue encore avoir tué le neveu de l'homme de lettres Benjamin Constant,
en juin 1829, au cours d'un duel. Il mentionnera dans ses Mémoires d'autres
meurtres, dont ceux de "cinq ou six individus égorgés
au hasard". Il revendique par ailleurs une multitude de vols
et d'escroqueries, fausses lettres de change, faux en écritures, chantage sur
des homosexuels... C'est finalement sous trente chefs d'inculpation, qu'il est
envoyé devant la justice. A la veille de son procès, en novembre 1835, Lacenaire
est célèbre pour ses crimes, dont la longue liste ne sera connue dans son entier
qu'au cours des débats, que pour sa personnalité hors du commun. "On
jugera jeudi prochain aux assises de la Seine un assassin d'une nature bien
extraordinaire", écrit le 9 novembre Le Journal du Commerce.
Il est vrai que le comportement de l'accusé est pour le moins surprenant : "Il
paraît que depuis son arrestation, Lacenaire a fait l'aveu de plusieurs crimes
capitaux dont il n'était même pas soupçonné", s'étonne le 7 novembre
La Gazette des tribunaux. Le 12, le même journal annonce : "Cet
homme (...) a, dit-on, le projet d'avouer non seulement tous les crimes qui
lui sont reprochés, mais encore de se charger, à l'audience même, de nombreux
méfaits pour lesquels il n'est pas renvoyé devant le jury". Cet
homme, dont Le Journal du Commerce souligne "le
froid cynisme dans ses aveux qui épouvante ceux qui l'interrogent",
va attirer les foules au tribunal.
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