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LES ECHOS POLITIQUES DE L'AFFAIRE LACENAIRE
Lors de son procès en novembre 1835,
l'assassin Pierre François Lacenaire justifie ses actes horribles comme
un défi lancé à une société injuste. Alors que le Gouvernement de Louis Philippe
veut museler l'opposition, cette affaire va non seulement passionner l'opinion
mais aussi susciter un vaste débat politique.
En novembre 1835, Pierre François Lacenaire est jugé pour
le double meurtre de la veuve Chardon et de son fils, pour tentative d'homicide,
pour divers vols et escroqueries. Certes, ces crimes sont atroces, mais d'autres
à la même époque le sont tout autant. Pourtant, c'est son procès qui attire
les foules, monopolise les pages des journaux. Il faut dire que, bourgeois en
rupture de ban, il s'est comporté de façon peu ordinaire, clamant sa culpabilité,
revendiquant des actes qu'il décrit comme une sanglante révolte contre un ordre
social infâme qui ne lui a pas permis de vivre autrement. Les propos de Lacenaire
suscitent de multiples commentaires et un grand débat s'instaure : dans quelle
mesure la société a-t-elle enfanté ce monstre? Le cas est trop peu banal pour
que les contemporains n'y voient pas un phénomène moderne, un "caractère
tout nouveau d'atrocités", une "espèce
de personnification de l'époque". S'il est vrai, affirme le
journal Le Temps, que chaque époque a connu des exceptions, il est vrai
aussi que l'exception est révélatrice de son époque. L'assassin est considéré
comme un "affreux symptôme du désordre moral",
un "indice des périls d'une société".
Son cas recèle des signes qu'il convient de déchiffrer, une "leçon"
dont il est impératif de "tirer l'enseignement";
faute de quoi on s'expose à voir se multiplier des "copies
plus ou moins pâles". L'analyse que fait la presse de l'affaire
Lacenaire s'inscrit dans les conflits politiques du moment et, divergeant selon
la tendance des publications, place ce fait divers au centre d'une polémique
dont l'ampleur accroît le spectaculaire retentissement public du procès. Pour
la presse légitimiste, ou "carliste", favorable à Charles X et à la
branche aînée des Bourbons écartée du trône en juillet 1830, la portée en est
capitale : "Il n'y a aucun fait politique qui soit
d'une importance aussi haute que le procès qui se débat devant la cour d'assises
de Paris", affirme La Gazette de France.
Pour les royalistes légitimistes, Lacenaire témoigne de
la corruption d'une société qui s'est détournée de la hiérarchie naturelle,
fondement de toute morale et voulue par Dieu. Cette société impie puise ses
sources dans la philosophie matérialiste et athée du XVIIIème siècle : Lacenaire
n'est-il point un lettré qui clame ses convictions philosophiques. L'éducation
infestée de philosophie que donnent les collèges publics, véritables écoles
de désobéissance et d'esprit de révolte, est mise en accusation. Rousseau et
Voltaire ont engendré le monstre, fils naturel de la Révolution de 1789. "La
logique du révolutionnaire et la logique du brigand ne diffèrent que par le
nom", lance La Gazette de France, qui voit dans les penseurs
de la Révolution "les théoriciens et les doctrinaires
du crime". En s'attaquant aux institutions et à la propriété,
les révolutionnaires ont armé les assassins à venir, et c'est tout le XIXème
siècle qui est désormais gangrené. Cet héritage honni a été recueilli par la
monarchie orléaniste, maintenant au pouvoir, née dans le sang des journées de
juillet 1830. Louis Philippe, le fils de Philippe Egalité, qui a voté la mort
de Louis XVI, a reconnu la liberté religieuse, faisant du scepticisme le fléau
de son temps, alors que le catholicisme aurait dû rester à jamais religion d'Etat.
En se dressant contre l'ordre social, l'athée Lacenaire n'a fait que suivre
l'exemple des hommes de juillet, affirment les légitimistes. Les publications
républicaines, tel Le Bon Sens, récusent certes l'irreligion comme cause
des crimes de Lacenaire; mais elles prennent aussi le Gouvernement pour cible.
Pour Le National, c'est l'hypocrisie de gouvernants bafouant la liberté
après l'avoir défendue qui a enfanté le monstre. L'opposition constitutionnelle,
elle aussi, accuse le revirement brutal des politiques au pouvoir. Le Courrier
Français voit dans les crimes de Lacenaire un avertissement à cette monarchie
qui a trompé le peuple en reniant la volonté réformatrice et progressiste affichée
en juillet 1830. Pour les républicains, une minorité égoïste s'est accaparé
tous les droits : si elle persiste dans cette voie, on court le risque d'un
retour à l'Ancien Régime.
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