LA FUSILLADE DU BOULEVARD DES CAPUCINES

"La dégradation des moeurs publiques (...) amènera dans un temps court, prochain peut être, à des révolutions nouvelles", déclare l'historien Alexis de Tocqueville le 29 janvier 1848. Mais personne ne prend son avertissement au sérieux. Surtout pas Louis Philippe et son ministre Guizot, qui se montrent de plus en plus intransigeants face à l'appétit de réformes de l'opposition et du peuple. Le 3 février, les Parisiens descendent dans la rue. Le soir, les manifestants sont pour la plupart d'entre eux rentrés chez eux, quand un tragique incident éclate boulevard des Capucines et fait basculer le cours des événements.

Début 1848, la France de la Monarchie de Juillet est en pleine crise, le marasme économique venant aggraver le climat d'exaspération politique et sociale. Le suffrage censitaire limite dramatiquement le nombre des électeurs à une poignée de nantis, et le Gouvernement s'est refusé à entreprendre une véritable réforme électorale. Devant l'intransigeance et l'aveuglement du roi et de son ministre Guizot, l'opposition, aussi bien modérée que républicaine, a lancé une campagne de banquets en faveur de la réforme, qui doit s'achever par une grande réunion à Paris.

Le 14 janvier, exaspéré par cette propagande hostile à son ministère, Guizot interdit ce banquet final, fixé au 22 février et organisé par des officiers de la 12ème légion de la Garde Nationale. L'opposition républicaine s'insurge et annonce que la réunion est maintenue. Le ministre de l'Intérieur Duchâtel réplique que le Gouvernement ne cédera pas. "Ils voulaient un banquet, ils n'en auront même pas les miettes", renchérit Louis Philippe.
Le 19 février, un compromis se dessine : le banquet pourrait être autorisé à condition qu'il se déroule non dans un quartier populaire mais aux Champs Elysées, dans un endroit isolé. Hostiles à cet arrangement, les républicains Louis Blanc et Ledru Rollin décident d'organiser une manifestation populaire et d'en appeler à la Garde Nationale. Le 21 au soir, Odilon Barrot, le chef de l'opposition dynastique, déclare :
"Le char est lancé, et quoi que nous fassions le peuple sera demain dans la rue". Le lendemain, sous une pluie glacée, des ouvriers, des étudiants, des meneurs de sociétés secrètes affluent place de la Concorde, venus des faubourgs de l'est de la capitale et du Quartier Latin. La troupe reste maîtresse de la situation, et la journée se solde par quelques bousculades et échauffourées. Le soir, les émeutiers rentrent chez eux et les soldats regagnent leurs casernes. Louis Philippe n'est pas inquiet : "Les Parisiens ne font jamais de révolution en hiver", affirme-t-il.

Le mercredi 23 février, le peuple est toujours dans la rue et quelques barricades ont été dressées. Pour rétablir l'ordre, le Gouvernement fait appel à la Garde Nationale. Mais celle ci se rallie aux émeutiers aux cris de "Vive la réforme"! et de "Guizot démission"! Brusquement, mais trop tard, le roi prend conscience de l'impopularité de son ministre. En début d'après midi, il se résout à limoger Guizot et charge le comte Molé de former un nouveau Gouvernement. Dans la capitale, c'est l'explosion de joie! Les manifestants déambulent en réclamant la rituelle illumination des rues. Le calme revient petit à petit : tout est fini, semble-t-il...
Un groupe d'une cinquantaine de manifestants chantant La Marseillaise à plein gosier se met en route vers le ministère des Affaires Etrangères, situé boulevard des Capucines. Pensant, à tort, que Guizot s'y trouve, ils ont dans l'idée d'aller conspuer le ministre. Mais ils trouvent le boulevard barré par les hommes du 14ème de ligne. Une torche à la main, un meneur s'avance, menaçant, vers un lieutenant. Pensant l'officier en danger, un sergent tire. Croyant à un signal, la troupe ouvre le feu. Un peu plus tard, on relève seize morts et une quarantaine de blessés. Dès lors, la colère radicalise l'exigence. Les corps des victimes sont chargés sur des charrettes et promenés à la lueur des flambeaux dans les rues de Paris.
Spectaculaire appel aux armes, cette "promenade des cadavres" sonne le glas de la Monarchie de Juillet  : la révolution est en marche.

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