LES CAPETIENS
LOUIS VI LE GROS ET LE PEUPLE
HELOISE : LA NONNE AU COEUR FIDELE
Elle a été chantée par François Villon et Georges Brassens cette "très sage Héloïse" qui fut d'abord bien peu sage. Après Iseult morte d'amour pour Tristan, et avant Juliette morte pour Roméo, Héloïse qui vécut sous le règne de Charles VI est la plus célèbre des héroïnes et la seule qui ait vraiment existé. Aussi séduisante qu'intelligente, elle est la première femme qui nous raconte son histoire d'amour.
A trente neuf ans , Pierre Abélard est la gloire
de son temps et la coqueluche des Parisiennes qui, comme beaucoup d'étrangers érudits,
se pressent pour suivre ses cours particuliers. Ce jeune philosophe est tout le contraire
d'un savant confit en dévotion. Au coeur du grand débat d'idées qui passionne les
beaux esprits de l'époque, il est l'arbitre incontournable. Bien que clerc, donc promis
à l'Eglise, les femmes du monde le voient comme un chevalier à la mode des romans de la
Table Ronde. Pour elles, cet intellectuel fortuné est plus un Lancelot parisien qu'un
saint Jérôme méditant sur la mort dans la solitude du désert.
Un jour, le chanoine Fulbert lui demande de lui faire l'honneur et la grâce de donner des
cours de "science" à sa jeune nièce Héloïse, issue d'une excellente
famille liée à la puissante maison des Montmorency. Fulbert est riche, la nièce est
séduisante par son intelligence, bouleversante par ses connaissances en dépit de son
jeune âge. N'est-elle pas instruite en latin, en grec, en hébreu ? Ne connaît-elle pas
la théologie, la physique, la versification et la musique? Abélard est aussitôt
attiré par cette jeune fille de dix sept ans qui le vénérait avant de le connaître. Il la
voit tous les jours. Pour elle, Abélard, le chevalier se fait troubadour. Il compose et
chante des poèmes à sa gloire. C'est Héloïse qui le racontera, beaucoup plus tard,
dans sa deuxième lettre à celui qui est devenu son directeur de conscience après avoir
été son amant et son mari, et qui restera son maître jusqu'à sa mort. "Quelle
épouse, dit-elle, quelle jeune fille ne te désirait pas absent, ne brûlait pour toi,
présent ! ! ! pour ces deux attraits par lesquels tu pouvais captiver la part animale de
n'importe quelle femme, d'un part le don de composer des poèmes, d'autre part celui de
les chanter. Tu mettais le nom d'Héloïse dans toutes les bouches".
Si la chanson est courtoise, l'appétit de jouissance est bien charnel et, précise Héloïse, "parce que tes poèmes chantaient nos amours, la jalousie des Parisiennes à mon égard s'aviva". Fulbert ne pouvait donc rien ignorer de ces amours coupables, consommées sous son toit, puisque tout Paris était au courant.
Quand la jeune femme est enceinte, le
couple part fuir le scandale en Bretagne près de Nantes, au pays d'Abélard. Quand elle
rentre, sans qu'on sache rien de l'enfant de l'amour, elle est nommée prieure du couvent
d'Argenteuil près de Paris, bien qu'elle soit mariée secrètement. Abélard vient la
retrouver, "mû par l'appétit d'agripper, de retenir cette femme, perpétuellement,
à lui". Mais aux yeux de Fulbert, parrain et tuteur d'Héloïse, Abélard est
toujours "le violeur moral" et non pas le mari. Cette passion tumultueuse
interdit à sa nièce d'accéder à la condition sociale qu'elle mérite par sa naissance.
Ulcéré par le défi permanent d'Abélard, Fulbert recrute deux "écorcheurs"
qui l'agressent et le châtrent.
Une nouvelle fois, le scandale est énorme. Fulbert s'est attaqué lâchement à un homme
d'Eglise et à une gloire nationale. Le roi Louis VI ordonne que la justice soit prompte.
Les deux agresseurs subissent la loi du talion, puis sont aveuglés. Le chanoine est
privé de ses ressources : ses bénéfices liés au chapitre sont supprimés. On pourra
trouver légère la peine pour le vrai responsable du crime qui n'est puni que dans sa
bourse.
Mais l'attentat ne désunit pas le couple, bien au contraire. Commence alors pour eux une
nouvelle aventure, spirituelle cette fois. En 1129, Héloïse conduit ses moniales près
d'un ermitage qu'Abélard a fondé en Champagne. Abbesse de ce nouveau monastère, le
Paraclet, voué à l'Esprit Saint Consolateur, Héloïse devient la première "femme
philosophique" sous la direction éclairée de son mari qui l'entraîne cette fois
dans les plus hauts chemins de l'esprit.
Par écrit, elle lui pose 42 questions sur des problèmes d'interprétation de l'Ecriture
Sainte. Mais la dernière pose la vraie question : Quelqu'un peut-il pécher en
accomplissant ce qui est permis et même ordonné par Dieu ?
Abélard répond par un surprenant traité de mariage et explique la nécessité de
réprimer désir et plaisir. C'était effectivement plus facile pour lui.
Il meurt à l'âge de soixante trois ans dans un modeste prieuré de Cluny. Héloïse le rejoint enfin
dix ans plus tard, toujours éperdue d'amour immodéré.
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