LES CAPETIENS
PHILIPE III LE HARDI, LES ARTS ET LES SCIENCES

 

JEAN DE MEUNG REPREND LE "ROMAN DE LA ROSE"

Plusieurs décennies après Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, Jean de Meung, un clerc parisien, donne une suite à ce poème inachevé. En reprenant cette oeuvre originale entre 1275 et 1285, il va séduire les lecteurs de son temps et du siècle suivant avec un répertoire inépuisable de sentences sur l'amour et les femmes.

Remanier un ouvrage ou lui donner une suite est une pratique courante au Moyen Age. Le Roman de la Rose, composé par Guillaume de Lorris entre 1230 et 1245 n'a pas échappé à cette tradition, d'autant qu'il est resté inachevé. Il a inspiré une foule d'ouvrages, dont l'un, très différent dans le style et le propos, a rencontré un succès retentissant qui a grandement contribué à sa renommée.

Né vers 1250 à Meung sur Loire, Jean de Meung est un clerc parisien qui a donné plusieurs ouvrages érudits, publié des lettres d'Héloïse et d'Abélard, traduit les auteurs latins Boèce et Végèce. Il énumérera lui-même ses travaux dans la dédicace d'une traduction de la Consolation de Boèce adressée à Philippe le Bel. Cependant, dans une lettre, également destinée au roi, il se présentera surtout comme l'auteur des vingt mille vers octosyllabes de la seconde partie du Roman de la Rose : "Je, Jehan de Meung, qui jadis ou Roman de la Rose, puisque Jalousie ait mis en prison Bel Accueil, enseignait la manière du château prendre et de la rose cueillir".
Jean de Meung a toujours présenté son oeuvre comme l'achèvement logique de l'intrigue laissée en suspens par Guillaume de Lorris. Force est de reconnaître néanmoins que cette continuation n'occupe qu'une part restreinte de l'ouvrage et déforme considérablement le récit. Certes, l'auteur reprend l'histoire là où elle s'est interrompue et la porte à son aboutissement, mais visiblement avec peu d'intérêt pour la fiction du songe qui est à la base du premier Roman de la Rose. L'interruption brutale du rêve est expédiée en un seul vers et même, plusieurs fois, les discours de personnages allégoriques, comme Raison ou Nature, soulignent le caractère trompeur des songes, l'impossibilité d'en faire une interprétation fiable et d'en déduire une quelconque vérité.
Aux séductions du verger de Guillaume de Lorris, à ses yeux tout à fait fallacieuses, Jean de Meung substitue une forme non plus carrée, mais ronde, plantée d'oliviers au lieu de pins. Le cristal est remplacé par l'escarboucle. C'est à tout l'univers poétique de son prédécesseur, vu comme une imposture, qu'il finit par s'opposer. Aux conventions sentimentales succède le rapport de force entre les deux sexes, exposé sur un ton ironique.

Au bout du compte, une armée de vertus courtoises est réunie par Amour, les défenses du château tombent et, sur l'intervention de Vénus, la forteresse est incendiée. Le jeune homme finit par cueillir la rose dans une scène riche en équivoques grivoises. On est loin de l'esprit courtois du premier Roman de la Rose, Jean de Meung glorifiant le désir, l'instint et la nature. Par ailleurs, il fait référence aux événements du moment et dresse une somme encyclopédique des connaissances de son temps dans les domaines les plus variés, de la religion à l'astronomie. La trame de départ se fait ténue et devient le support d'un discours pédagogique, voire pédant, dont le sérieux alterne avec une féroce satire.
Dans de constantes digressions, fonctionnant par associations d'idées, mais souvent selon une technique étudiée d'entrelacement ou d'emboîtement, l'auteur traite tout aussi bien de philosopgie et de morale, du libre-arbitre, de la noblesse, de la fortune et de l'argent. Il compose ainsi un catalogue de sentences et de pensées morales souvent peu originales et novatrices (la sérénité face à l'adversité, la philosophie du renoncement, le mépris de la richesse ...), mais qui sont des témoignages historiques intéressants sur la culture d'un clerc de la seconde moitié du XIIIème siècle.
En ce qui concerne l'amour proprement dit, thème initial de l'oeuvre, ce second Roman de la Rose constitue une somme des savoirs contemporains, un inventaires des idées, un répertoire des thèses et des doctrines émises au fils du temps par les différents auteurs et que rencontre fatalement un écrivain du XIIIème siècle; ces différentes opinions étant confrontées à la manière prônée par la scolastique. La pédagogie de l'amour s'ouvre sur les prolongements d'une "activité" humaine qui touche aux forces cosmiques : l'art d'aimer de la poésie courtoise débouche sur un art de comprendre tout ce qu'aimer met en marche.
Cet enseignement  au sein d'une oeuvre en vers qui par ailleurs ne manque pas de qualités poétiques est assez inédit et surprenant, et risque de désorienter. On est loin de l'initiation amoureuse du départ, mais les lecteurs du Moyen Age accueillent triomphalement ce nouveau Roman de la Rose, dont ils se servent comme d'une anthologie de citations et font un ouvrage de référence.

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