LES CAPETIENS
PHILIPPE IV
LE BEL ET LE PEUPLE
PHILIPPE LE BEL, PREMIER "MEDECIN" DE SON ROYAUME
Deux marques saintes prouvent la légitimité d'un roi de France. Le sacre de Reims où il reçoit l'onction de l'huile sainte, et le fameux "toucher des écrouelles" qui fait de lui le médiateur de la puissance divine : le roi guérit les malades, donc il est le roi. L'origine de ce don remonte au fils de Hugues Capet, Robert le Pieux, roi de France de 996 à 1031. Mais c'est sur le règne de Philippe le Bel que nous sommes le mieux renseignés.
Ce 12 mai 1307, le roi Philippe est reçu
au palais épiscopal de Poitiers. Le peuple se presse, en dépit de la dureté des temps
et du poids de l'impôt qui paraît de plus en plus lourd. Au premier rang des
solliciteurs qui sont en majorité de pauvres gens, souvent des miséreux, se trouve une
femme dont le vêtement indique qu'elle est de condition noble. L'Histoire a retenu son
nom grâce aux comptes méticuleux d'un fonctionnaire royal, Renaud de Corbie. La
demoiselle qui s'appelle Jeanne de la Tour, souffre des écrouelles, forme de tuberculose
qui provoque l'inflammation des ganglions du cou : on voit les bubons blanchâtres qui
bourgeonnent sous son oreille. C'est une des graves maladies de ce temps, contre laquelle
les médecins ne peuvent rien, sinon envoyer leurs patients "voir le roi". Les
écrouelles frappent surtout les pauvres qui vivent sans hygiène et souffrent de
malnutrition.
Le roi sort de la chapelle où il vient de prier, il s'avance, majestueux. Jeanne de la
Tour tombe à genoux, le roi se penche sur elle, fait un signe de croix sur son cou, sa
main non gantée touche les écrouelles sans hésiter. Il prononce une courte prière dont
on ne connaît pas les termes exacts mais qui était déjà celle de Saint Louis et sera
celle de Charles V. Plus tard, sous François 1er, la formule dira : "Je te touche, Dieu te guérit". L'opinion publique sait
que la guérison dépend du don royal mais aussi de sa foi profonde et de celle du malade.
La guérison n'est jamais une certitude mais une probabilité gérée par le ciel.
Aussitôt, Vivien, le portier du roi, remet à Jeanne de la Tour les soixante sous du rituel.
C'est une somme puisqu'un ouvrier agricole ne gagne qu'un sou par semaine.
Le roi se penche sur le suivant qui peut
être un moine, un Italien, un Flamand, car toute l'Europe essaie de bénéficier du don
royal. Le fonctionnaire Renaud de Corbie, nous a donné leurs noms, Guilhem vient de
Bigorre, Agnès d'Elbeuf, Marguerite de Lorraine, etc. Les malades savent calculer
les déplacements du roi qui doit toucher 1 000 ou 2 000 d'entre eux. Beaucoup tentent de
resquiller pour avoir l'aumône et un médecin doit faire le tri. C'est ainsi que Henri
Payot, maréchal-ferrant près de Langres, amène sa soeur mais elle est refoulée par
les serviteurs car elle n'a rien. Fou de rage, Payot appelle la malédiction du ciel
contre le roi qu'il traite de fou. Il est jeté au cachot.
A l'époque de Philippe le Bel le protocole n'a pas encore bloqué la Cour et les gens
veulent venir chaque jour. Devant l'ampleur de la demande il faut grouper les malades pour
que le roi n'officie qu'une fois par semaine. Les médecins étant trop chers ou
incompétents, le peuple va à la médecine du ciel. Si la foi ne les sauve pas, nul ne
murmure contre Dieu ou le roi. Si la foi ne produit pas le miracle attendu, c'est que le
malade a quelques péchés graves à se faire pardonner. D'autant que des résultats
entretiennent l'espoir car cette adénite tuberculeuse connaît souvent des rémissions
naturelles, et le malade guérit tout seul. Commencé de manière presque anodine, le
toucher des écrouelles est devenu en moins d'un siècle le signe de l'élection divine du
roi. Toutes les élites en conviennent. On ne trouve aucune voix discordante.
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