LES CAPETIENS
LOUIS VII LE JEUNE ET LE PEUPLE

 

LE SUPPLICE DE PIERRE DE BRUIS

Au XIIème siècle, la demande de pureté spirituelle et de retour aux sources du Christianisme est si profonde que les hérésies, mouvements de contestation plutôt que véritables remises en question de la foi chrétienne, fleurissent en Occident. Par son radicalisme, Pierre de Bruis, humble curé dauphinois, va non seulement effrayer l'institution romaine, mais aussi provoquer la colère du peuple, ce qui, en 1139, le mènera au bûcher.

Les hérétique se dressent contre les dogmes établis et, surtout, contre le haut clergé, dont les abus, la soif de pouvoir et de richesses sont violemment stigmatisés. Cherchant à retrouver la simplicité, la moralité et la pureté du Christianisme primitif et de l'Eglise des Apôtres, ils rejettent toute institution ecclésiastique. Ils s'élèvent contre les sacrements et le dogme de la "présence réelle", "l'idolâtrie" du culte des saints et des reliques, la hiérarchie sacerdotale. Ils affirment que les prêtres et les lieux de culte sont inutiles, veulent supprimer la liturgie et toute médiation entre Dieu et les hommes; car le Tout Puissant agit où et comme il l'entend. Leur dessein n'est pas de détruire l'Eglise, mais de la purifier en s'inspirant directement de l'Esprit Saint.

Vers 1120, Pierre de Bruis, un curé dauphinois instruit, commence à prêcher dans les montagnes du nord de la Provence. En 1138, ses idées (elles annoncent le catharisme, qui se répandra dans le midi de la France à partir de la fin du siècle) et ses disciples, les Pétrobrusiens, sont condamnés dans un traité rédigé par l'abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. Pierre de Bruis rejette le baptême des enfants, qui n'ont selon lui ni raison ni foi, un argument déjà avancé par des hérétiques flamands un siècle plus tôt. Les églises sont inutiles : Dieu étant présent partout, les chrétiens n'ont pas besoin de lieux consacrés pour prier. Les croix sont proscrites : il faut les briser ou les brûler, car elles rappellent l'odieux instrument du supplice du Christ et ne méritent ni adoration ni hommage. Le curé hérétique nie également la "présence réelle" dans l'Eucharistie et supprime la messe, qu'il juge sans valeur, pas même comme symbole du sacrifice de la croix. Enfin, il conteste l'efficacité des oeuvres des vivants pour assurer le salut des morts.
Pierre de Bruis ne se contente pas de théorie. Sa conviction est telle qu'il n'hésite pas à se livrer à des actes qui, pour le haut clergé et les tenants de l'orthodoxie romaine, ne peuvent passer que pour sacrilèges. Partout où il prêche, il fait détruire des sanctuaires, allumer des bûchers où l'on jette les croix. Certains vendredis saints, il fait parfois même, par dérision, cuire de la viande et ordonne à ses fidèles d'en manger avec lui. Ses prédications dans les diocèses d'Embrun et d'Arles ont un vif succès et lui valent d'être expulsé de Provence, puis de Narbonnaise. Il se réfugie alors dans le Languedoc, et ses partisans se répandent jusqu'aux confins de la Gascogne et de l'Aquitaine.

En 1139, à Saint Gilles du Gard, où il s'est rendu pour une profanation de croix, Pierre de Bruis est pris par la population en colère, jeté dans le bûcher qu'il a fait lui-même préparer et meurt brûlé vif. Mais le mouvement des Pétrobrusiens lui survivra pendant quelques années sous la conduite d'Henri de Lausanne. Ce moine, chassé de Lausanne puis du Mans pour prédication subversive, s'est réfugié en Provence, où il a rencontré Pierre de Bruis dont il est devenu le disciple. En 1134, il a été arrêté sur ordre de l'archevêque d'Arles et, l'année suivante, a comparu devant le concile de Pise. Là, il s'est rétracté et l'abbé Bernard lui a offert une retraite à Clairvaux. En vain... Henri de Lausanne a préféré retourner en France pour y reprendre sa prédication. Installé en pays toulousain, actif foyer d'hérésie, il prêche sa doctrine au grand jour, en toute tranquillité, et réunit autour de lui un cercle d'adeptes. L'indifférence, voire le soutien plus ou moins manifeste, du comte Alphonse Jourdain lui garantit l'impunité et il enseigne la notion d'une Eglise purement spirituelle, privée de croix, de luxe ornemental et de sanctuaires. Il prône la seule autorité du Nouveau Testament, nie la valeur des sacrements catholiques et refuse obéissance à la hiérarchie romaine, thèmes que le catharisme reprendra un peu plus tard.
En 1145, le pape envoie Bernard de Clairvaux en mission dans le Languedoc afin de briser l'hérésie : Henri de Lausanne doit prendre la fuite. Bien que jouissant de la protection des seigneurs du cru, qui s'opposent moins à l'autorité de Rome qu'à celle de la monarchie capétienne, les dissidents demeurent minoritaires. Par petits groupes, ils continueront cependant à suivre les enseignements de Pierre de Bruis et d'Henri de Lausanne jusqu'à la fin du siècle.

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