LES CAPETIENS
LOUIS VII LE JEUNE, CHEF D'ETAT
LA "PAIX GENERALE" DE SOISSONS
(10
JUIN 1155)
Le 10 juin 1155, à Soissons, Louis VII déclare la paix dans le royaume pour dix ans. Même si cette décision n'a qu'une portée symbolique, elle souligne la volonté du Capétien d'affirmer l'autorité monarchique et de fonder l'exercice du pouvoir sur la justice.
En décembre 1154,Louis VII a vu se dresser
un formidable rival en la personne du roi Henry II d'Angleterre, à la tête d'un
"empire" s'étendant de l'Ecosse aux Pyrénées. Mais sa préoccupation
principale ne semble pas être, à première vue, d'essayer de desserrer l'étau
dans lequel le Plantagenêt l'enferme peu à peu, tout juste se tient-il sur la
défensive en Normandie. Ses préoccupations, son énergie sont entièrement tournées
vers l'intérieur de son royaume.
Le Capétien a hérité de son père, Louis
VI, un domaine royal quasiment pacifié et un royaume où l'autorité monarchique
s'est affirmée aux dépens des grands féodaux. De plus en plus fréquemment, il
intervient dans des conflits opposant des religieux et leurs seigneurs, et s'attache
à arbitrer en faveur des plus faibles : c'est ainsi qu'il secourt les moines
de Vézelay contre le comte de Nevers, qui les persécute, les abbés et les évêques
de Bourgogne contre le comte de Mâcon, le seigneur de Gien contre le comte de
Sancerre.
A maints égards, Louis VII inscrit sa politique
dans la continuité de son défunt père, qui a lutté contre les vassaux d'Ile
de France abusant de leur pouvoir. Mais il veut aller plus loin, et les réflexions
de ses conseillers, pour la plupart ecclésiastiques, vont dans ce sens. Il songe
à une "paix du royaume" reprenant les dispositions des conciles de
paix du XIème siècle institués par l'Eglise et instaurant la "trêve de
Dieu", pendant laquelle tout combat devait cesser. En juin 1155, renouant
avec la tradition des souverains mérovingiens et carolingiens, il convoque une
assemblée générale à Soissons. En intitulant cette assemblée "concile",
il marque sa volonté de se substituer aux évêques et affirme les prérogatives
de la Couronne en matière de justice.
La plupart des grands se rendent à
Soissons : les prélats, Samson de Mauvoisin, archevêque de Reims, Hugues de
Toucy, Archevêque de Sens; et les seigneurs laïcs, le duc Eudes de Bourgogne,
les comtes Thierry de Flandre, Henri de Troyes, Guillaume de Nevers. Tous ceux
qui ne sont pas vassaux d'Henry II Plantagenêt sont présents, excepté le comte
de Toulouse, dont le fief est trop éloigné.
Le 10 juin, "à la demande
des gens d'Eglise et par le conseil de ses barons", Louis VII décrète solennellement
la paix pour dix ans dans le royaume. Cette paix s'étend à toutes les églises,
à tous les paysans et marchands, à tous ceux qui acceptent de s'en remettre
à la justice dont ils relèvent. Les barons jurent de l'observer, de réprimer
"la malice des méchants et la violence des brigands"; les prélats
promettent sur les reliques de l'encourager de "toutes leurs forces".
De portée générale, l'ordonnance de Soissons
est la première de cette nature à sortir de la chancellerie capétienne, qui
d'habitude édicte des chartes concernant des groupes ou des domaines particuliers.
Elle affirme l'autorité du souverain, qui prétend légiférer et intervenir dans
toutes les provinces du royaume. Elle est cependant limitée par la présence
des feudataires, sans qui rien ne peut encore vraiment se décider ou se faire,
qui restent le premier degré de justice. Mais les grands apportent un véritable
appui à la politique royale en acceptant, pour que la paix soit respectée, de
collaborer entre eux et avec le roi. Ils reconnaissent implicitement la suprématie
du souverain et l'extension de son influence à l'ensemble du royaume; un royaume
certes amputé de tous les fiefs du Plantagenêt, duc de Normandie, comte du Maine
et d'Anjou, duc d'Aquitaine par son épouse Aliénor et tenant la Bretagne sous
sa dépendance féodale. Mais Louis VII compte ainsi l'unifier et peut-être même
veut-il faire de la paix de Soissons le modèle de relations non conflictuelles
avec son adversaire.
Le texte du 10 juin 1155 fait référence à la justice
royale comme ayant la prééminence sur celle des seigneurs, qu'elle est chargée
de contrôler. Deux ans plus tard, en 1157, un concile d'évêques définit juridiquement
ce pouvoir en faisant du seigneur qui refuse de rendre justice un "infracteur"
à la paix et en permettant à ses "victimes" d'aller directement plaider
leur cause devant le roi. L'ordonnance de Soissons sera pratiquement inappliquée,
parce que inapplicable, mais consolide l'idée que préserver la paix est la mission
du roi, et si les grands, ecclésiastiques ou laïcs, y participent, ce n'est
qu'en vassaux.
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