LES CAPETIENS
LOUIS VI LE GROS, CHEF D'ETAT
L'ANEANTISSEMENT DE THOMAS DE MARLE
(OCTOBRE 1130)
Louis VI est le premier souverain à entreprendre d'asseoir une autorité réelle dans les limites du domaine royal. Au fil des années, l'Ile de France a vu se dresser des puissances illégitimes et des donjons hostiles, menaces permanentes pour la sécurité des clercs et des marchands, fléaux pour les paysans. Le roi est fermement déterminé à libérer le pays des tyrannies locales. Et c'est au prix d'une longue lutte qu'il viendra à bout de celle du cruel Thomas de Marle en octobre 1130.
Né en 1080, Thomas de Marle est l'héritier des puissants seigneurs de Coucy, Marle et La Fère, largement possessionnés dans la région de Laon. Comme de nombreux chevaliers de son temps, il a pris part, brillamment, à la première croisade, a accru son patrimoine en concluant de fructueux mariages et tyrannise les faibles, paysans, hommes d'Eglise et marchands, pour leur extorquer le plus possible de services, d'argent et de terres. Mais Louis VI entend briser cette "loi d'airain" du système seigneurial, sous laquelle les potentats locaux exploitent impitoyablement le peuple, se livrent au pillage et à d'innombrables abus de pouvoir.
La cruauté dans laquelle se complaît Thomas
de Marle le fait toutefois sortir du lot des châtelains et a marqué la mémoire
collective. Largement détaillée par les chroniqueurs Suger et Guibert de Nogent,
elle contribue à noircir son portrait et à justifier les interventions du roi
et de l'Eglise. Ce seigneur brigand est le fils d'Enguerran de Coucy, maître
cruel et débauché d'une forteresse qui semble défier la colère du Ciel et la
justice des hommes, et d'Adèle de Marle, dont l'inconduite était notoire. Il
a pour belle-mère Sibylle de Château Porcien, qui a cherché à le faire assassiner
et a réussi à le faire passer pour bâtard aux yeux de son père. La haine que
lui voue cette marâtre n'a pu que permettre aux instincts de bête fauve qu'il
tient de la nature de se développer.
La férocité de Thomas de Marle étonne
ses contemporains, dont les moeurs sont pourtant loin d'être douces. Guibert
de Nogent ne parle qu'avec épouvante de l'ingéniosité qu'il déploie pour inventer
de nouveaux supplices et du plaisir voluptueux qu'il prend à verser le sang
humain. Il ne s'agit point ici de la brutalité insouciante qui est alors le
propre de tous les gens de guerre. Non, Thomas de Marle aime tourmenter ceux
qui ne peuvent se défendre, le paysan sans arme ou le prisonnier enchaîné. "On
n'imagine pas le nombre de ceux que la faim, les tourments et la pourriture
ont fait périr dans ses prisons", s'indigne Guibert
de Nogent. Dès 1101, des voisins, ainsi que certains de ses parents, se liguent
pour faire front contre cette barbarie. S'étant enfui de son château assiégé,
le sire de Marle parvient à obtenir l'aide de Louis VI. Cette fois, c'est le
roi qui l'a sauvé.
Après dix ans de nouveaux excès, Thomas de
Marle met à profit les troubles survenus à Laon, où les bourgeois ont tué leur
évêque, pour augmenter ses revenus et sa clientèle. S'il refuse de prendre la
tête de la révolte, il donne asile aux assassins du prélat, participe au sac
de la ville et n'hésite pas à faire égorger un de ses parents, l'archidiacre
Gautier. Cette fois, c'en est trop. Une assemblée d'évêques le condamne solennellement
et demande au roi d'intervenir.
S'ensuit, en 1115, une véritable croisade,
bénie par les prélats et par la papauté. Thomas de Marle perd deux de ses châteaux
et se voit contraint d'indemniser ses victimes. Mais il reste libre. Maître
de forteresses protégées par d'épaisses forêts, il continue à se livrer à la
violence et aux pires méfaits. Il inspire une telle terreur que le roi et l'Eglise
se croient dans l'impossibilité de le réduire par la force. Ils ne s'y décident
qu'en 1130.
Depuis que Thomas de Marle a tué son frère, le sénéchal Raoul
de Vermandois a un compte à régler avec son sinistre voisin. Il use de toute
son influence auprès de Louis VI pour que soit enfin organisée l'expédition réclamée
par les évêques. Le roi ne peut que donner son aval, d'autant que le sire de
Marle retient prisonniers des marchands à qui il a accordé un sauf-conduit.
En octobre, poursuivi jusqu'à Coucy, blessé à mort par Raoul de Vermandois et
fait prisonnier, Thomas de Marle expire sans repentir, refusant même de libérer
les marchands qui croupissent dans ses geôles. Le roi fait démanteler sa forteresse
et s'empare de son trésor. Deux ans plus tard, il faudra encore une ultime expédition
pour venir à bout des héritiers du seigneur brigand.
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