LA PRAGMATIQUE SANCTION DE BOURGES
Charles VII réussit là où
Philippe le Bel a échoué. Par la Pragmatique Sanction de Bourges,
il donne son autonomie à l'Eglise de France face à la papauté
et à la curie romaine. Sans doute y parvient-il parce que le pape Eugène
IV est très affaibli par ses démêlés avec le houleux
Concile de Bâle.
Entouré des princes et de ses conseillers,
Charles VII préside l'assemblée réunie au début
de l'été 1438 en la Sainte Chapelle de Bourges. Le souverain entame
là une série de réformes pour mieux assurer le pouvoir
monarchique. Traitant des affaires religieuses, le premier chantier est particulièrement
compliqué. La situation de l'Eglise catholique est explosive, en France
comme ailleurs. Le roi a convoqué à Bourges plus d'une trentaine
d'évêques et un grand nombre d'abbés, qui vont examiner
les décisions prises au concile (fort contesté) de Bâle.
Secouée par le long conflit qui a opposé
le pape d'Avignon et celui de Rome, l'Eglise catholique a du mal à retrouver
ses marques. Partout la discipline s'est relâchée, l'autorité
pontificale est battue en brèche. Achevé en 1418, le concile de
Constance a bien pris quelques mesures, mais, à Rome, le souverain pontife
n'arrive pas à rétablir son autorité. Aussi Martin V (élu
à Constance) décide-t-il de convoquer un nouveau concile. Il meurt
avant qu'il ne se tienne, et c'est Eugène IV qui le réunit, d'abord
à Sienne puis à Bâle, en 1431. Un violent bras de fer
y oppose l'assemblée conciliaire et le pape. Déjà malmenée,
l'autorité pontificale risque fort de sombrer complètement. La
très ancienne querelle pour savoir qui, du pape ou du concile, a la suprématie
prend à Bâle mauvaise tournure. Jalouse de ses prérogatives,
l'assemblée conciliaire proclame sa prééminence sur le
pape. Bien entendu, Eugène IV ne l'entend pas de cette oreille. Le ton
monte... "Convoqué" à Bâle, le pontife brandit
la menace de la dissolution. Pour éviter le schisme, l'empereur Sigismond
et le roi Charles VII proposent une médiation. Un accord transitoire
est trouvé et le concile poursuit ses travaux. Il décide en particulier
la suppression des annates, une redevance qui est une source de revenus conséquente
pour Rome. Pour contrer ses initiatives intempestives, le pape finit, en
janvier 1438, par convoquer un autre concile à Ferrare. Eugène
IV ayant réussi à faire pression sur les autorités politiques,
seul un petit groupe demeure à Bâle. Et l'on défait à
Ferrare les décisions prises à Bâle... C'est dans ce
contexte effroyablement troublé que, à Bourges, Charles VII décide
d'organiser l'Eglise de France à sa manière, en se référant
aux réformes entérinées à Bâle. Le 7 juillet
1438, le roi promulgue la Pragmatique Sanction. Cette ordonnance reprend, avec
quelques modifications, une vingtaine de décrets pris par le concile
dans l'esprit duquel elle s'inscrit et donne un statut particulier à
l'Eglise de France. Elle constitue en quelque sorte une alliance entre le souverain
et le clergé, limite les prérogatives papales en réaffirmant
la suprématie des conciles qui ont clairement défini les pouvoirs
du Saint Siège.
Dans son préambule, la Pragmatique
Sanction de Bourges dénonce les abus de la papauté. Dans son premier
article, elle déclare la suprématie des conciles généraux
sur le Saint Siège et limite les pouvoirs du pape. Ainsi la libre élection
des évêques et des abbés par les chapitres et les monastères
est rétablie. De ce fait, les nominations par Rome et le droit de réserve
que pouvait manifester le Saint Siège sont supprimés. L'ordonnance
de Bourges établit aussi des juridictions permettant de limiter les appels
(souvent onéreux) faits à Rome. Enfin, elle fixe un âge
minimum pour devenir cardinal, réduit la possibilité du pontife
de lever un certain nombre d'impôts et restreint les effets de l'excommunication
et de l'interdit. Fin politique, Charles VII réussit ce que Philippe
le Bel a vainement tenté de réaliser. Bien que se référant
à Rome, l'Eglise de France acquiert une grande autonomie. Le roi s'assure
là aussi un clergé loyal et dévoué. Mais à
Rome, personne n'est dupe du mauvais coup porté à la papauté.
La Pragmatique Sanction ne peut recevoir l'aval du pontife. Et ce malgré
l'appui apporté par Charles VII à Eugène IV, aux prises
avec un antipape élu par les irréductibles de Bâle. Le premier
article sur la prééminence des conciles est absolument inacceptable.
Privé de précieux revenus, le Saint Siège demande l'abrogation
de la Pragmatique Sanction, ou du moins que celle-ci soit sérieusement
amendée. On entame des discussions. Elles seront longues, très
longues... La Pramatique Sanction, accueillie favorablement par le clergé
de France et par la plupart des parlements, sera rejetée par la Bretagne
et par la Bourgogne. Bien que Louis XI en ait atténué certaines
mesures par souci de conciliation avec Rome, elle restera en vigueur jusqu'en
1516 et la signature par François 1er et Léon X du Concordat de
Bologne.
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