LES CAPETIENS
PHILIPPE IV LE BEL ET LES PERSONNALITES

 

L'AFFAIRE GUICHARD DE TROYES

Condamné en 1304 pour malversations financières, l'évêque Guichard de Troyes n'est ni très pieux ni très honnête; et il est accusé des pires infamies. A l'automne 1308, tandis que, en plein procès des Templiers, Philippe le Bel affirme sa souveraineté face au Saint Siège, le prélat va être victime à la fois d'une machination et de la raison d'Etat.

Fils de paysan, Guichard a fait une très belle carrière, grâce notamment à la faveur des comtesses de Champagne : Blanche, épouse d'Henri II de Champagne et reine douairière de Navarre, et sa fille Jeanne, épouse de Philippe IV le Bel et jeune reine de France. Prieur de Saint Ayoul de Provins, puis abbé de Montier la Celle, il a siégé au Parlement et, en 1298, a été nommé évêque de Troyes. Devenu riche et puissant, il s'est montré autoritaire, insolent et brutal. Abusant de son pouvoir, il s'est aliéné le clergé champenois et, plus grave, a perdu la faveur des deux reines.
Au Conseil de la reine Jeanne de Navarre, Simon Festu, archidiacre de Vendôme, savant théologien mais aussi intrigant notoire, a pris la place de Guichard de Troyes, qu'il va poursuivre avec acharnement. Le prétexte est vite trouvé. En 1300, Jean de Calais, clerc champenois et ancien trésorier du comte, qui doit être jugé pour malversations, s'enfuit de la prison épiscopale : l'évêque Guichard est accusé d'avoir touché de l'argent pour le laisser s'évader. Une enquête est ouverte. Il n'est pas difficile de réunir un dossier contre le prélat, qui n'est un modèle ni de piété ni d'honnêteté. Cependant, aux charges de débauches, de spéculation, de simonie et de tyrannie s'ajoutent des calomnies : quand la reine Blanche meurt, le 2 mai 1302, on présente des preuves fabriquées accusant Guichard de Troyes de l'avoir assassinée.

En 1304, l'archevêque de Sens rend son arbitrage : l'évêque Guichard est condamné à payer une amende de 40 000 livres pour prix des fraudes dont il est reconnu complice. Le 3 juin 1307, le pape Clément V reconnaît officiellement son innocence, sauf en ce qui concerne les malversations financières.
L'affaire semble close. Mais l'évêque sait que ceux qu'il a méprisés, maltraités n'aspirent qu'à se venger. Dans l'entourage du prince Louis, le futur Louis X le Hutin, à la tête du comté de Champagne depuis la mort de sa mère, la reine Jeanne de Navarre, en avril 1305, il compte de nombreux ennemis, animés par des haines toujours vivaces.
En février 1308, un ermite champenois se confesse à Sens : il a vu l'évêque de Troyes d'adonner à la sorcellerie, ce qui aurait causé la mort de la reine Jeanne de Navarre, et préparer des poisons pour faire disparaître les princes du sang. Le bailli de Sens rapporte ce "témoignage" au roi. Dénonciation opportune ou fabriquée de toutes pièces? Victime de la vindicte de ceux qui briguent sa place et son pouvoir, Guichard de Troyes va voir son destin basculer face à la raison d'Etat.

Alors qu'on est en pleine instruction du procès des Templiers, Guillaume de Nogaret, le garde des Sceaux, entend s'assurer la docilité du clergé du royaume et affirmer l'indépendance de la monarchie capétienne vis-à-vis du Saint Siège : l'affaire Guichard vient à point nommé lui offrir un coupable, déjà fort déconsidéré, qu'il sera aisé de châtier pour l'exemple.
Le 15 août 1308, l'évêque de Troyes est arrêté sur ordre de Clément V. Mais, en violation des privilèges ecclésiastiques, les gens du roi le transfèrent au Louvre. Son procès s'ouvre le 6 octobre. Accusé de tous les crimes, y compris les plus invraisemblables, il nie courageusement et critique vivement la procédure. Après sa comparution devant les commissaires pontificaux à Sainte Geneviève, le pape demande à Philippe le Bel qu'il soit transféré à Avignon pour être jugé. Le roi, qui n'entend ni se voir dicter sa conduite ni céder devant le souverain pontife, refuse et laisse le procès s'enliser. Au bout du compte, Guichard de Troyes n'est remis à Clément V qu'en 1311. Il n'est plus un enjeu dans le conflit qui oppose le Capétien au pape, et Nogaret a atteint son but : la solidarité de l'épiscopat français à l'égard du pape a été entamée. Deux ans plus tard, après que ses accusateurs auront avoué avoir ourdi une sinistre machination, le prélat sera enfin libéré. Nommé évêque de Diakovar, en Bosnie, il ne retournera jamais en Champagne et mourra oublié de tous en 1317.

Le plus de la fiche

Page MAJ ou créée le

© cliannaz@free.fr