LES CAPETIENS
PHILIPPE 1ER, CHEF DE GUERRE
LE MASSACRE DES JUIFS DE FRANCE ET DE RHENANIE
(PRINTEMPS 1096)
L'appel à la croisade lancé en 1095 par le pape Urbain II a eu un retentissement extraordinaire. Au printemps 1096, précédant l'armée des princes et des barons, des milliers de pauvres gens se mettent en route vers Jérisalem. Sur leur passage, ils pillent villes et campagnes, sèment la terreur, massacrent au nom de Dieu les juifs de France et de Rhénanie.
Le 7 novembre 1095, le pape Urbain II a clos le concile de Clermont en lançant son appel à la croisade et en invitant les chrétiens à aller délivrer le tombeau du Christ. Le grand départ des princes et des barons a été fixé au 15 août de l'année suivante. Auprès du peuple des villes et des campagnes, le message du pape a une extraordinaire résonance : pour partir vers l'Orient, les paysans abandonnent leurs terres, les ouvriers quittent leurs ateliers. Des milliers de pauvres gens partent sans attendre, déferlent sur les chemins de Jérusalem sans provisions ni argent, sans la moindre idée de l'itinéraire à suivre et des périls qui les attendent.
Certains s'emploient activement à rallier les candidats au
voyage en Terre Sainte, tel Gautier sans Avoir, seigneur désargenté qui prend
la tête de troupes de paysans. Et le moine Pierre l'Ermite, qui, pieds nus,
prêche de village en village, de l'Orléanais au Berry et à la Champagne; les
pélerins de sa "croisade des pauvres gens" se mettent en marche en
plein hiver, le 8 mars, plusieurs mois avant la date fixée à Clermont. Ni les
unes ni les autres ne savent bien où ils vont. Aux portes de chaque nouvelle
ville revient toujours la même question : "Est-ce là Jérusalem"?
Les
chrétiens soucieux de leur salut sont rejoints par des aventuriers et des marginaux,
des bandes de coupe-jarrets comme celles des Allemands Volkmar, Gottschalk et
Emich de Leisingen. Sur son passage, la horde désorganisée se livre au pillage,
ne serait-ce que pour subvenir à ses besoins élémentaires. Les villageois n'ont
la plupart du temps à craindre que pour leurs biens, mais les juifs, ces "ennemis
de Dieu" que l'on rend responsables de la Passion du Christ, sont victimes
des pires exactions. Si l'intention des croisés est d'abord de les baptiser
et de les ramer à la "vraie foi", les massacres sont monnaie courante.
"Un jour, des hommes, qui en vue de l'expédition en
Terre Sainte avaient pris la croix, commencèrent à murmurer en ces termes :
notre intention est d'aller massacrer les ennemis de Dieu en Orient, non sans
avoir à traverser d'immenses territoires, alors que nous avons sous nos yeux
les juifs; or il n'existe pas de race plus hostile à Dieu", rapporte
le moine Raoul Glaber. Chaque ville traversée est le cadre de pogroms sanguinaires.
A Rouen, "ils saisissent leurs armes et se mirent
à rassembler les juifs, et ils les entassèrent en quelques églises, par violence
ou par ruse je ne saurais préciser, et les voilà qui, les faisant sortir de
là portent l'épée sur tous, indistinctement; n'épargnant ni sexe, ni âge",
relate le chroniqueur.
Les mêmes scènes atroces se reproduisent dans tout l'est
de la France. A Metz, le maire livre les juifs pour épargner la ville; puis
en Rhénanie, à Spire, à Worms. A Mayence, l'évêque protège les réprouvés contre
espèces sonnantes et trébuchantes.A Cologne, les juifs se réfugient chez des
chrétiens amis ou compatissants. Usant de leur droit à porter les armes, ils
se défendent farouchement. En vain. "Brusquement ils
attaquèrent un petit groupe de juifs, les mutilèrent et les mirent en pièces,
démolirent leurs maisons et leurs synagogues. A la vue de cette cruauté, environ
deux cents d'entre eux prirent la fuite dans la nuit, mais les croisés les découvrirent,
ils en firent un carnage identique et les dépouillèrent de tous leurs biens",
témoigne le chroniqueur Albert d'Aix. Si certains échappent à la tuerie, c'est
au prix d'une immédiate conversion au Christianisme, pratique pourtant condamnée
par l'Eglise depuis 633. Malgré le clergé qui les presse d'abjurer pour sauver
leur vie, de nombreux juifs s'immolent dans leurs maisons ou leurs synagogues
plutôt que de renier leur foi; "trois femmes que l'on
traîne à l'église pour y être baptisées refusent au dernier moment et préfèrent
mourir...".
La colonne des croisés ne laisse derrière elle que
terreur et dévastation, à Ratisbonne, à Prague et jusqu'en Hongrie. Mais, au
fil des semaines, nombreux sont les "marcheurs de Dieu" qui périssent
de faim ou d'épuisement, sont tués par les défenseurs des villes traversées
ou lors d'embuscades tendues par les Ottomans, succombent à leurs blessures
ou à la maladie. Seule une infime partie de la croisade des pauvres gens survivra
à ce périple et atteindra Constantinople, en juillet 1096.
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