LES CAPETIENS
PHILIPPE IV LE BEL, CHEF D'ETAT

 

L'EXPULSION DES JUIFS DU ROYAUME
(21 juillet 1306)

Malgré la fin de la guerre de Flandre, Philippe le Bel a toujours autant besoin d'argent. Pour alimenter le Trésor, il décide d'expulser les Juifs du royaume et de faire saisir leurs biens au profit de l'Etat. Une mesure arbitraire qui sera mise en oeuvre aux termes de l'ordonnance du 21 juillet 1306.

Conformément au traité d'Athis sur Orge, la Flandre doit payer au royaume de France, en quatre ans, une indemnité de 400 000 livres ainsi qu'une rente perpétuelle de 20 000 livres, assise sur un fief de la Maison comtale. Sa signature, en juin 1305, qui va de pair avec la suppression de l'impôt destiné au paiement des dépenses de guerre, crée une sorte "d'euphorie financière". Mais celle-ci est de courte durée. Alors que la Flandre ne s'acquitte pas de sa dette, les charges civiles de la monarchie ne diminuent pas pour autant, et Philippe le Bel doit absolument trouver de l'argent. Il est également urgent d'alimenter le Trésor car, depuis 1303, le clergé demande que le cours de la livre tournoi soit renforcé. Par ailleurs, l'affaiblissement de la monnaie suscite un vif mécontentement populaire.

Le Gouvernement royal pense alors aux Juifs. Ce n'est pas la première fois que ces communautés urbaines, spécialisées dans le petit commerce et l'usure, sont régulièrement mises à contribution. Ainsi, fin 1285, lorsque Philippe le Bel a accédé au trône, elles ont dû verser un "don" de "joyeux avènement" de 25 000 livres. Puis, une taxe personnelle leur a été imposée pour le port sur leur vêtement de la rouelle, qui les distingue des "bons" chrétiens et les voue parfois à la vindicte populaire. Dans les sénéchaussées de Saintonge et du Poitou, plus que taxées, elles ont tout simplement été rançonnées.
Mais à la fin du XIIIème siècle et au début du suivant, en particulier dans le Languedoc, l'économie des communautés juives subit une grave crise. Les Juifs ont beau pratiquer des prêts à des taux d'intérêt allant jusqu'à 40 ou 50%, ils ont le plus grand mal à s'acquitter des charges de plus en plus lourdes exigées par le fisc. Certes, comme tous les contribuables, ils tendent à faire preuve de mauvaise volonté et à exagérer les difficultés de leur situation. Mais leurs problèmes sont bien réels. Les receveurs de l'impôt en sont même tout à fait conscients : il le font savoir au roi et soulignent qu'il serait vain de recourir à la force pour obliger les Juifs à verser un argent qu'ils n'ont pas. Faute de pouvoir taxer leurs revenus, Philippe le Bel saisira donc leur capital. Cette décision répond à une autre "nécessité". Expulsés du royaume avant la mise en circulation d'une monnaie plus forte, un "royal debout" en or fin, les usuriers juifs ne pourront profiter de cette réforme pour exploiter leurs débiteurs, par exemple en exigeant le remboursement en monnaie forte de créances conclues en monnaie faible. Cela permettra également d'éviter qu'ils ne s'accaparent la "bonne monnaie" en la fondant et en la faisant passer à l'étranger. La mesure d'expulsion, qui n'est peut-être qu'un prétexte, se révèle éminemment populaire...

Le 21 juillet 1306, des hommes d'armes font irruption chez toutes les familles juives, mettent leurs biens et créances sous séquestre, font lecture de l'ordonnance signifiant leur expulsion du royaume capétien. La plupart des Juifs trouvent refuge dans des provinces frontalières, relevant de l'Empire : le Hainaut, la Lorraine, la Franche Comté, le Dauphiné, mais surtout l'Alsace et la Provence. Certains émigrent plus loin, jusqu'en Espagne ou en Hongrie. Plusieurs princes étrangers leur font bon accueil, tels le comte de Viennois et le roi Charles II de Naples, qui les encourage à s'établir dans ses Etats. Ils sont près de 100 000 à s'expatrier, et rares sont ceux qui, pour être autorisés à rester, acceptent de se convertir au christianisme. Beaucoup reviendront quand, en juillet 1315, Louis X rapportera l'ordonnance d'expulsion pour douze ans, moyennant néanmoins le paiement d'un sauf-conduit. Car, à une époque où les espèces monétaires en circulation menacent sans cesse de se raréfier, le crédit proposé par les Juifs, quoique réprouvés par l'Eglise, est indispensable au bon fonctionnement de l'économie.
Les biens saisis comprennent d'une part le numéraire, d'autre part les maisons et les meubles, dont la vente rapporte des sommes importantes. Rien que dans la sénéchaussée de Toulouse, le Trésor royal s'enrichit de 75 000 livres. Pour les créances, il faudra vingt ans pour ne les recouvrer que partiellement. A leur retour en France, quelques Juifs les rachèteront en offrant au roi de l'aider à poursuivre leurs anciens débiteurs. Mais Philippe le Bel est déçu : il espérait retirer beaucoup plus de ces saisies. L'expédient a été insuffisant : aussi, en novembre 1307, les biens de l'Ordre du Temple sont-ils à leur tour confisqués.

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