LES CAPETIENS
LOUIS IX, CHEF D'ETAT

 

LOUIS IX INTERDIT LE DUEL JUDICIAIRE
(Février 1261)

En février 1261, faisant fi de l'opposition féodale, Louis IX abolit le duel judiciaire toujours prisé par les grands seigneurs, et à ce "jugement de Dieu" substitue l'enquête et la preuve par témoins. Puisant son inspiration dans le droit romain, cette nouvelle loi va s'inscrire dans le cadre d'une évolution où la justice du roi primera sur celle des vassaux.

L'Eglise a déjà proscrit dans ses Cours les "ordalies", les fameux "jugements de Dieu". Mais ces duels judiciaires, dont le champion, par sa victoire, est censé apporter la preuve de son bon droit, ont toujours force de loi parmi les seigneurs féodaux. Tout à son esprit de justice, Louis IX ne peut croire que cet usage de la force puisse permettre de rendre raison à l'innocent et, avec l'aide de ses conseillers, le souverain va s'efforcer de le faire disparaître.
Au Parlement de l'octave de la Chandeleur de février 1261, il obtient l'assentiment de l'assemblée des grands laïcs et ecclésiastiques pour l'adoption de l'ordonnance substituant l'enquête au duel judiciaire. "Nous défendons à toutes les batailles [duels judiciaires] par tout notre domaine (...). Et en lieu de bataille, nous mettons preuves des témoins". Tel est le contenu du premier article de ce texte réformateur : désormais, le droit dot primer la force.

Certes, la suppression du duel judiciaire est pour l'heure cantonnée au seul domaine royal; les grands barons restant les maîtres d'adopter ou non la réforme sur leurs terres. Mais pour les féodaux, le duel judiciaire est consubstantiel à la notion même de noblesse, et l'ordonnance de février 1261 est un coup magistral porté à leur pouvoir. D'autant que, en plus de l'interdiction de la "bataille", les articles VIII et IX donnent aux justiciables de la justice seigneuriale le droit de faire appel auprès de la justice royale, des appels qui vont bien vite se multiplier.
Les grands, qui veulent continuer à être maîtres chez eux en matière de justice, ne manquent pas de manifester leur mécontentement. Mais la machine royale est en marche. Déjà, en 1259, l'affaire Enguerrand de Coucy a fait office de coup de semonce et leur a donné à réfléchir. Ce fait divers exemplaire est autant l'illustration de la nouvelle justice royale qui se met en place que de l'opposition féodale qui se manifeste. Enguerrand de Coucy, persuadé de son "bon droit" a fait pendre trois jeunes aristocrates flamands qui s'étaient introduits sur ses terres de l'abbaye de Saint Nicolas au Bois pour y chasser le lapin. L'abbé de Saint Nicolas, qui avait la garde des jeunes gens, et le connétable Gilles Lebrun, parent de l'un d'entre eux, ont fait appel au roi de cette sentence cruelle. Louis IX a convoqué à sa Cour le seigneur de Coucy, qui a rejeté la procédure d'enquête et, bien sûr, réclamé le recours au duel judiciaire. Le Capétien l'a fait arrêter par les sergents royaux, et non par des chevaliers, et lui a refusé la "bataille". En revanche, il lui a accordé d'être accompagné d'un conseil et jugé par ses pairs, comme il est de coutume pour un baron. Il n'empêche, son intention était bel et bien de condamner Coucy à une mort semblable à celle des jeunes gens : la pendaison. Mais les barons, tous peu ou prou liés par lignage au prévenu, l'ont incité à la clémence.

Si Louis IX s'est laissé fléchir, Enguerrand de Coucy a néanmoins été condamné à racheter sa vie par une amnde de 10 000 livres; ainsi qu'à faire bâtir deux chapelles, où seront dites tous les jours des prières pour l'âme des jeunes Flamands, et à donner à l'abbaye le bois où ils ont été pendus. Enfin, toute haute justice à propos des bois et des viviers lui a été enlevée et il a dû promettre de passer trois ans en Terre Sainte. L'affaire a fait grand bruit chez les féodaux, que cette sentence a scandalisés. La vive réaction de Jean de Thourotte, qui a parlé au nom de Coucy le montre. Devant l'assemblée des barons, il a déclaré que le roi ferait aussi bien de les pendre tous. Ses propos ont été rapportés à Louis IX, qui lui a fait cette mise au point : "Comment est ce Jean? Dites vous que je fasse pendre mes barons? Certainement, je ne les ferai pas pendre; mais je les châtierai s'ils méfont".
Le ton est donné. La justice royale ne s'exerce plus différemment selon le rang des justiciables. Sous le règne de Louis IX, elle accomplit des progrès décisifs, prenant appui sur les procédures d'enquête et d'appel venues du droit romain via l'Eglise et l'enseignement universitaire. A la même époque, cette évolution touche jusqu'au droit coutumier féodal, qui prend forme écrite, mais non sans avoir été dépouillé au passage de ses "mauvaises coutumes". Une façon encore de faire reconnaître la supériorité de la "coutume du royaume" sur celle des fiefs et des principautés féodales. La loi du roi fait résolument son chemin.

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