LES CAPETIENS
LOUIS IX, CHEF D'ETAT
LA GRANDE ENQUETE DE LOUIS IX
(Janvier 1247)
Avant de partir pour la croisade, Louis IX veut se mettre en paix avec sa conscience et, en janvier 1247, lance la "Grande Enquête royale". Dans toutes les provinces, de la Flandre au Languedoc, ses envoyés auront pour mission de recueillir les plaintes de ses sujets contre les abus commis par les officiers de l'administration et de la justice.
Qui dit croisade dit pénitence et réparation.
Avant de partir pour la Terre Sainte, Louis IX est fermement décidé à se mettre
en règle avec sa conscience et avec ses sujets. Pour ce faire, dès janvier 1247,
il lance une "Grande Enquête royale" afin de dresser la liste des
injustices commises en son nom par ses officiers, baillis (appelés sénéchaux
dans le midi) et prévôts, et de les réparer. Il laissera ainsi son royaume en
paix, tout en étant purifié du péché d'avoir mal rempli sa fonction royale en
laissant ses agents violer la justice. C'est à ce prix, pense-t-il, qu'il pourra
espérer obtenir de Dieu le succès de son entreprise en Palestine.
Ce n'est
pas la première fois qu'un souverain envoie ses représentants contrôler les
agents locaux de l'administration. Charlemagne a envoyé sur les routes les missi
dominici, imité en cela par ses successeurs. Mais c'est dans une procédure originale
et exceptionnelle, sans commune mesure avec les précédentes, que se lance Louis
IX.
Les grands enquêteurs royaux ont pour mission
"de recevoir par écrit et examiner
les plaintes que l'on veut faire valoir contre nous et nos ancêtres",
peut-on lire dans les lettres patentes de janvier 1247 : en prenant en compte
les spoliations pratiquées sous ses prédécesseurs, Philippe Auguste et Louis
VIII, le roi n'hésite pas à assumer l'héritage capétien. Ces lettres patentes
invitent également les enquêteurs à enregistrer "les
dires relatifs aux injustices et toutes autres fautes dont nos baillis, prévôts,
forestiers, sergents et leurs subordonnés se seraient rendus coupables depuis
le commencement de notre règne". L'enquête promet
d'être exhaustive : pour la première fois, l'administration et la justice du
royaume vont se trouver remises en cause.
Louis IX innove aussi en choisissant
ses envoyés. Il renonce aux équipes autrefois constituées par un clerc et un
laïc pour faire appel aux ordres mendiants, franciscains et dominicains, récemment
créés et qu'il prise tant. Les religieux oeuvrent au jour le jour, établissant
les procès-verbaux sur de longs rouleaux de parchemin. Les plaintes recueillies
sont nombreuses et variées. Leur registre est tellement ouvert que même le roi
d'Angleterre Henry III, pensant profiter des bonnes dispositions de Louis IX,
demande réparation des torts que lui ont infligés les Capétiens en s'emparant de
son héritage continental. On voit aussi Philippe Auguste mis en cause par les
moines de la Trappe, qui lui reprochent de leur avoir ôté la jouissance d'une
forêt fournissant le bois d'oeuvre et de chauffage, et supprimé une livraison
annuelle de 5 000 harengs assurée au temps des Plantagenêt par le prévôt de
Pont Audemer.
Dans le Languedoc, la liste des revendications
et des doléances est particulièrement longue. Il est vrai que dans cette région,
les agents royaux ne se sont pas privés quelques années plus tôt de profiter
de l'éloignement de Paris et de la répression contre l'hérésie cathare pour
multiplier les exactions et les spoliations. Les baillis, les prévôts et leurs
sergents sont souvent sur la sellette; les prévôts surtout. Avant de devenir
des agents rémunérés par la monarchie et bénéficiant de la bienveillance des
baillis, ils ont pris l'habitude de récupérer par tous les moyens, y compris
les plus odieux, de quoi payer leur charge et leur personnel, voire beaucoup
plus? Saisies de sacs de blés, de bétail, d'ustensiles de cuisine chez les plus
démunis; saisie de terre et de biens chez les nobles partis en croisade : la
liste des abus est sans fin.
Le roi ne restera pas sourd face à la litanie
de ces injustices : des restitutions auront lieu, des dédommagements seront
accordés. Il châtiera les auteurs des abus, déplaçant les uns, révoquant les
autres. Vingt baillis seront déplacés entre 1247 et 1249 : un chiffre sans commune
mesure avec la moyenne des mutations pratiquées au cours des années précédentes.
Louis IX, redresseur de torts? Sûrement. Mais la pieuse initiative de la grande
enquête n'est pas dépourvue de motivations autres que spirituelles. Elle permettra
de réformer efficacement les rouages de l'administration royale. Sans compter
l'impact financier que le roi ne peut manquer de prévoir en tirer. Les amendes
des coupables alimenteront la croisade. En même temps, l'enquête, débouchant
sur une fiscalité plus juste, offrira l'occasion d'élaborer des méthodes plus
efficaces et plus profitables pour remplir les caisses du Trésor. La grande
habileté de Louis IX sera de savoir associer impératifs moraux et impératifs
de gouvernement.
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