LES CAPETIENS
LOUIS IX, CHEF D'ETAT

 

L'AFFAIRE DE BEAUVAIS
(Janvier - Février 1229)

En janvier 1233, à Beauvais, la grogne populaire a tourné à l'émeute. Louis IX, qui a décidé de veiller personnellement à ce que les coupables soient châtiés, va entrer en conflit avec l'évêque Milon de Nateuil. Face au prélat qui s'estime lésé et affirme que l'affaire relève de sa juridiction, le roi ne désarmera pas; pas plus que devant les menaces d'excommunication et les protestations de Rome : en ce qui concerne le temporel, il n'entend pas se laisser dicter sa conduite, serait-ce par l'Eglise. Désormais, il est prêt à régner seul, et la fin de la régence de Blanche de Castille s'annonce.

En 1232, les bourgeois ne parvenant pas à s'entendre, Louis IX a nommé lui-même le maire de Beauvais. Le nouvel édile, Robert de Moret, est fort mal accueilli par les notables qui n'apprécient guère de voir cet "intrus", natif de Senlis se mêler de leurs affaires. Le bon peuple ne lui est pas plus favorable, certain que son arrivée ne mettra pas fin aux injustices, en particulier en matière de fiscalité. Les difficultés économiques aidant, les mécontents se regroupent et la grogne finit par tourner à l'émeute.
Le 31 janvier 1233, Beauvais est le théâtre de violentes manifestations dont la bourgeoisie commerçante est la cible privilégiée. Les incidents font une vingtaine de morts et une trentaine de blessés. Indignés, les notables et l'aristocratie demandent justice à l'évêque, Milon de Châtillon Nanteuil. Mais celui-ci tarde à sévir, et Robert de Moret, chassé de la ville par la vindicte populaire, s'empresse de faire appel au roi et à la régente.
A Milon de Nanteuil, qui argue que l'affaire relève de la justice épiscopale et non de le justice royale, Louis IX assène qu'il entend bien se rendre sur place pour régler personnellement le conflit. A son arrivée, alors que les troubles sont apaisés et qu'une enquête a permis de découvrir les principaux coupables, il est accueilli au palais épiscopal par un évêque certain de faire valoir son bon droit face à un jeune roi de dix huit ans qu'il espère naïf et docile.

Lors d'entretien en privé, l'évâque expliqua à Louis IX, faisant les cent pas : "Très redouté Sire, je viens vous demander conseil, comme à mon seigneur, sur ce qu'il convient de faire en pareille occurence", rapporte Joinville dans ses Mémoires. "Gardez vous, Monseigneur, de lâcher la foule en délire sur les citoyens commerçants et artisans qui font la renommée et la fortune de votre ville", réplique le souverain. A quoi l'homme d'Eglise répond, non sans ironie : "Hélas, Sire, que faire devant le déferlement spontanée d'une foule mécontente, excédée? J'ai du faire appel à vous". Mais le roi est bien plus habile et retors que son âge ne le laisse supposer. "Répétez moi donc ce gros mensonge en face, Monseigneur. je prends sur moi de faire ici bonne et prompte justice", conclut-il en congédiant le prélat sans lui laisser aucune illusion.
Certs le roi a déjà pris sa décision. Mais, pour que le droit de chacun soit garanti, il tient à ce que les enquêtes en bonne et due forme soient diligentées. Après quoi il rend son verdict, en présence de ses conseillers et de ses magistrats, devant la foule des Beauvaisiens. Il impose Robert de Moret sur le fauteuil de maire, puis fait l'énumération des peines légères, ammendes et bannissements. Les auteurs des crimes les plus graves sont transférés à Paris pour y être jugés et leurs maisons sont détruites. L'affaire aurait pu en rester là.

Depuis Philippe Auguste, l'évêque paie chaque année cent livres parisis correspondant à l'entretien du roi et de sa suite lors leur venue à Beauvais. Considérant que son dernier séjour a été exceptionnel, Louis IX réclame un versement supplémentaire de 800 livres.
Déjà furieux d'avoir été dépossédé de ses droits juridictionnels, Milon de Nanteuil, qui est aussi comte de Beauvais, refuse de payer. Le roi fait aussitôt saisir le temporel de l'évêque (ses revenus autres que ceux afférant à la fonction religieuse). Soutenu par l'archevêque de Reims Henri de Dreux, le prélat jette l'interdit sur le diocèse.
A sa mort, en septembre 1234, le conflit n'est toujours pas éteint. Il finira par s'atténuer peu à peu et, en 1240, nul ne contestera plus la prééminence de la justice royale sur la justice épiscopale en ce qui concerne le règlement des affaires temporelles.
En faisant plier les grands ecclésiastiques, Louis IX montre qu'il entend limiter leurs interventions au domaine spirituel. Malgré les menaces d'excommunication et les multiples protestations du Saint Siège, le roi très chrétien ne désarmera pas. Tout en affirmant son respect pour la papauté et l'Eglise, il refusera de les voir empiéter sur ses droits de souverain, entendant rester le seul maître en son royaume terrestre.

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