LES CAPETIENS
LOUIS IX, CHEF D'ETAT
LOUIS IX ET LES JUIFS DU ROYAUME
Saint Louis rassemblait toutes les qualités que l'on peut attendre d'un bon chrétien craignant Dieu. Cependant, à l'instar des autres rois qui régnèrent sur la France, il se montra particulièrement zélé dans l'application des mesures répressives à l'encontre des juifs du royaume.
Il règne une grande agitation place de Grève en ce jour de juin 1242. La foule des Parisiens se masse autour de vingt quatre charrettes remplies de livres et de documents. L'observateur attentif peut distinguer les caractères hébraïques des parchemins entassés pêle-mêle. Les fonctionnaires royaux s'approchent et jettent sans ménagement les ouvrages au centre de la place alors qu'on apporte des fagots. Puis, armés de torches, ils mettent le feu à ce gigantesque bûcher. Faisant reculer les spectateurs, les flammes du brasier s'élèvent bientôt vers le ciel. En quelques heures, ce sont plusieurs centaines d'exemplaires du Talmud et de la Mishnah qui partent en fumée.
Louis IX, le pieux Saint Louis, ne fait qu'appliquer les décisions du pape. En juin 1239, Grégoire IX a envoyé aux évêques de France l'ordre de saisir les livres des juifs. Une étude approfondie des textes est demandée à la suite de laquelle on pourra organiser un débat public entre rabbins et défenseurs de la foi chrétienne. La majorité des souverains chrétiens ont été chargés d'organiser de telles rencontres. Mais Saint Louis est le seul à appliquer cette décision. La disputatio a lieu entre le 25 et le 27 juin 1240, en présence du roi et de sa mère Blanche de Castille. Les docteurs de l'Église ont relevé trente cinq accusations à l'encontre du Talmud, en particulier des prises de positions extrêmes vis-à-vis du Christ et de Marie. L'habileté oratoire des juifs donne du fil à retordre aux chrétiens. Mais le bilan reste nul, chaque camp ayant utilisé des arguments irréfutables. Deux ans seront nécessaires pour prendre une décision. Mais les jeux sont faits depuis le début. Le roi n'est-il pas chrétien ? L'adresse des juifs n'est-elle pas la preuve de leur fourberie ?
Saint Louis n'est
pas le premier roi à s'attaquer aux intérêts des juifs. Déjà, Philippe
Auguste avait ordonné leur expulsion, en 1182. Mais, alors que ses
prédécesseurs visaient essentiellement leur pouvoir économique, le fils de
Blanche de Castille se place sur le plan religieux. En bon chrétien, il suit
l'enseignement de l'Église à ce sujet. Le pape Grégoire IX professait que "les
pères des juifs furent amis de Dieu et leurs restes seront sauvés."
Thomas d'Aquin estimait qu'on ne "devait pas priver
les juifs des choses nécessaires à la vie". Innocent III
souhaitait qu'ils restent "des errants sur terre
jusqu'à ce qu'ils cherchent le nom de Jésus Christ".
Aussi, Saint Louis se soucie-t-il autant de leur argent que du salut de leur
âme. En 1230, il leur interdit la pratique de l'usure,
jusque-là prohibée aux seuls chrétiens. Par ailleurs, il considère que s'ils
pratiquent la religion des prophètes et n'ont pas foi en le Christ, c'est par
manque d'éducation. Aussi, il crée des écoles destinées à recueillir,
éduquer et convertir les orphelins juifs. Aux convertis, il accorde une
pension, sur l'argent provenant des spoliations et des saisies effectuées sur
les réfractaires...
S'il ne désire pas s'approprier leurs biens, le roi n'interdit pas pour autant
le rançonnement des juifs. Au sénéchal de Carcassonne, il demande de leur
soutirer "le plus que vous pourrez car nous voulons
avoir du leur." Si une partie de cet argent revient aux convertis
afin de les maintenir dans le droit chemin, le reste finance les croisades.
Durant les vingt dernières années de son règne, Saint Louis intensifie les
mesures à l'encontre des juifs. En 1253, il ordonne leur expulsion en masse du
royaume. L'année suivante, il leur interdit la pratique du crédit et leur
commande, sous peine d'expulsion, de cesser "leur
usure, sortilèges et caractères." En 1257, avant de partir à la croisade,
il fait chasser les usuriers récalcitrants et vend leurs biens. Seuls les
cimetières et les synagogues, ainsi que les objets du culte, sont laissés aux
communautés.
Enfin, en 1259, observant les
décisions du concile de Latran de 1215, le roi impose le port de la rouelle.
Cette pièce d'étoffe, de forme circulaire, cousue sur le vêtement, a pour
objet de permettre à tous de reconnaître un juif du premier coup d'oeil. Tout
contrevenant est frappé d'une amende et son vêtement, confisqué, est remis au
dénonciateur.
A la demande de Philippe le Bel, Saint Louis est canonisé, en 1297. Dans son
procès en béatification, les mesures prises à l'encontre des juifs sont
reconnues comme une preuve de son attachement à l'Église, au pape et à la
religion chrétienne.
Sept siècles plus tard, c'est précisément pour ces raisons que le procès
d'Isabelle de Castille est ajourné sine die. Entre-temps, l'histoire a jugé...
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